Le journaliste français Christophe Gleizes a finalement été condamné à 7 ans de prison. Contre toute attente et alors que la plupart des observateurs s’attendaient à un acquittement ou une condamnation très légère de manière à ne pas envenimer le contentieux avec la France.
Cette condamnation qui survient deux semaines après la grâce accordée à Boualem Sansal est une « douche froide » pour tous ceux qui croyaient en une sorte de « normalité » du régime algérien. Car en effet, nombreux sont, à Paris, ceux qui croient encore que le « système Tebboune » est le prolongement ou le successeur du « système Bouteflika ». Ce n’est pas le cas, les logiques et les logiciels des deux régimes sont différents.
Bouteflika n’aurait certainement pas fait arrêter Boualem Sansal (qui pourtant avait démissionné de ses fonctions au ministère de l’Industrie en 1999), de même que Christophe Gleizes : il y avait à l’époque Bouteflika une certaine rationalité ; le pouvoir connaissait les lignes rouges à ne pas franchir, les provocations à éviter. Ce n’est pas le cas du régime Tebboune, régime policier qui ose se présenter comme une forme de démocratie vaguement autoritaire alors qu’il n’est qu’un régime policier et militaire. On se trompe donc à Paris en croyant Tebboune successeur de Bouteflika. Comme on a également fait l’erreur de croire que le silence, les tractations secrètes, la diplomatie discrète sont les garants de la libération d’otages. L’Algérie n’est pas un groupe terroriste avec lequel on peut négocier une rançon, c’est un État qui prend des otages, hier Boualem Sansal, aujourd’hui Christophe Gleizes, et qui met tous les moyens étatiques dont il dispose pour gérer ces otages.
Christophe Gleizes a été condamné, alors que son comportement, dit-on, a été exemplaire de modération et de discrétion. Il s’est, au cours de l’audience, excusé de ses erreurs. Il a quasiment demandé pardon à l’Algérie pour ces dernières. Erreurs bénignes en réalité puisqu’il reconnaît s’être rendu en Algérie avec un visa de tourisme comme le font d’ailleurs tous les journalistes, et non avec un visa de presse… qu’il n’aurait évidemment jamais obtenu, tant la méfiance et l’hostilité du pouvoir algérien vis-à-vis des journalistes sont grandes.
Mais son procès, comme hier celui de Boualem Sansal, a surtout une signification politique.
C’est d’abord, derrière Christophe Gleizes, victime d’un système despotique, le procès de la Kabylie, le procès des autonomistes kabyles et de tous ceux qui s’opposent au pouvoir absurde d’Alger. C’est un avertissement à ces derniers, d’autant plus qu’ils ont le vent en poupe. Le MAK, simple mouvement politique, déclaré « organisation terroriste » en 2021 par l’Algérie de Tebboune, compte proclamer l’indépendance de la Kabylie, à Paris mi-décembre, défi considérable adressé au pouvoir algérien.
Cette décision constitue également un avertissement à la France et à son président. En un mot, Alger veut rester, dans le contentieux avec Paris, le « maître des horloges », le décideur suprême, celui qui décidera, au moment qu’il choisira, d’une éventuelle reprise de la coopération ou du dialogue, comme la venue à Alger de Laurent Nunez. Nous avons tort de croire à Paris que Boualem Sansal, gracié et libéré, que tout va repartir comme avant et qu’on effacera d’un coup de baguette magique la crise franco-algérienne. C’est aussi, plus simplement, un avertissement subliminal à Paris afin que le gouvernement français empêche ou interdise la manifestation d’indépendance kabyle le 14 décembre et plus généralement consente à extrader ceux qu’Alger voit comme des agitateurs réfugiés en France qui leur accorde l’asile.
Enfin, il y a vraisemblablement derrière tout cela des objectifs de politique intérieure algérienne : pourquoi gracier uniquement des citoyens français, Boualem Sansal et Christophe Gleizes, alors que le président algérien ne gracie pas les opposants politiques algériens qui, eux, ne peuvent compter sur la presse internationale ou sur les soutiens politiques étrangers ? Il fallait donc que la justice algérienne, justice avant tout politique, se montre ferme vis-à-vis du cas Gleizes. C’est réussi, Alger montre ainsi, aux dépens des victimes, sa force dangereuse.
Ce jugement n’est donc pas innocent. C’est un jugement politique, prononcé en toute connaissance de cause par un pouvoir aux abois qui voit dans une fuite en avant autoritaire la solution aux problèmes qu’il a lui-même créés.
Illustration : Ligne de Presse (Licence : NRP)
Xavier Driencourt
Ancien ambassadeur en Algérie, à deux reprises, Xavier Driencourt a également été ambassadeur de France en Malaisie, conseiller au cabinet d'Alain Juppé et directeur général de l'administration au Quai d'Orsay, enfin chef de l'inspection générale des affaires étrangères.
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