Le Pape Léon XIV a choisi la destination du Proche-Orient pour marque le début de son pontificat. Destination loin d’être anodine. L’Orient, berceau de la chrétienté est aux prises depuis longtemps aux crises politiques et aux guerres. Le Liban, en particulier, où le Pape a passé trois jours est éprouvé par les guerres et sa communauté chrétienne avait besoin d’un réconfort papal.

Routes asphaltées, façades d’immeubles encore criblées des trous de la guerre ripolinées, quelques vitres remplacées après 5 ans de l’explosion du port de Beyrouth… Les troupes de danse traditionnelle se sont attifées de leurs accoutrements folkloriques, l’aéroport s’est paré des couleurs du Vatican, les photographes se sont empressés sur le tarmac en mettant en branle le cliquetis de leurs appareils photos. Une mise en scène presque parfaite a été orchestrée avec un couple présidentiel particulièrement actif pour accueillir le Souverain Pontife. Le Liban pendant trois jours a ressemblé à un village Potemkine. Tout était propre dans un pays peinant à gérer ses déchets, les routes étaient éclairées dans un pays où certaines régions sont alimentées à hauteur de 4 heures d’électricité seulement, un climat de bienveillance a régné là où les communautés se regardent en chiens de faïence. Le décor était, en effet, parfait. Le Pape Léon XIV s’en est ému. Au Palais présidentiel, son premier lieu de visite, il a normalisé l’utilisation d’un mot : Paix. Le discours présidentiel y a fait écho en y ajoutant l’expression « fils d’Abraham », dans un geste politique certain d’ouverture aux Accords d’Abraham. Et pourtant, le Liban en est encore loin.

Les objectifs d’une visite papale, outre leur dimension apostolique et spirituelle, relèvent souvent du politique. En effet, le Synode pour le Liban organisé sous Jean-Paul II adressait un message de liberté et de résistance aux Libanais, notamment chrétiens, sous l’occupation syrienne. Suivi en 1997 par l’exhortation apostolique Une nouvelle espérance pour le Liban, et la visite du Pape Jean-Paul II au Liban, ce Synode était mal perçu par le régime syrien qui y voyait un soutien aux revendications des Libanais opposés à l’occupation de leur pays et à l’injustice qu’elle générait. Presque trois décennies plus tard, au moment de la visite de Léon XIV, le Liban est toujours aux prises à des tensions communautaires dues aujourd’hui à l’entrisme iranien dans le pays du cèdre à travers la milice du Hezbollah qui a attiré une guerre dévastatrice sur le sol libanais depuis le 8 octobre 2023. Jamais les communautés n’ont été aussi dressées les unes contre les autres. Le Hezbollah a profité du système libanais confessionnel et de l’Etat ultra central pour enserrer de son étau la justice, les réformes et les décisions politiques régaliennes. Marginalisées par cette toute puissance milicienne, les autres communautés sont de plus en plus effacées politiquement. Les chrétiens sont de plus en plus tentés par le projet fédéral, garant du maintien de la diversité libanaise libérée des tensions communautaires et d’un système confessionnel étriqué, et la rue sunnite est en mal de leadership depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri en 2005 et les atrocités armées qu’elle a subies en 2008 par le Hezbollah à Beyrouth. Le pouvoir en place essaie de remédier aux anomalies bien incrustées dans la vie politique et sécuritaire depuis longtemps. L’armée a, en effet, mis en place un plan de désarmement ayant pour date limite fin décembre 2025. Sauf que ce plan est entravé par un manque de volonté politique de la part du chef de l’Etat major, Rodolphe Haykal, et par extension du Président de la République Joseph Aoun. Son discours en présence du Pape sur la nécessaire réconciliation entre les « fils d’Abraham », et donc la paix avec Israël, n’a rien changé à la réalité des choses : le retard dans le désarmement dû à une crainte présidentielle, un manque de fermeté ou pire une connivence avec l’establishment fatidique au Liban basé sur l’alliance « mafia-milice ». Pour gagner du temps et dévier les regards de cet échec cuisant dans le processus de désarmement, le Président de la République a lancé des négociations directes avec Israël dans le cadre du comité du « mécanisme » prévu pour veiller sur la bonne application de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le Liban et Israël en envoyant un négociateur civil pour la première fois. Ce premier pas diplomatique très positif, accompagné d’une opinion publique de plus en plus favorable à la paix avec Israël est le premier fruit de la visite du Pape au Liban. Mais gare aux réjouissances précoces. Cette manœuvre n’empêchera pas un nouvel épisode de la guerre entre Israël et le Hezbollah tant qu’elle ne sera pas couplée de mesures concrètes. Sans désarmement du Hezbollah, point de salut et point de paix. Le Liban est loin de vaincre ses démons. Ce fut le message très politique du Pape d’ailleurs dans son avion de retour au Vatican qui a appelé clairement le Hezbollah à rendre les armes. Tant que la première condition de la paix n’est pas remplie, toute manœuvre politique du pouvoir en place ressemblera davantage à de la propagande visant à calmer les pressions américaines et à gagner du temps, plutôt qu’à des gages sûrs garantissant la stabilité du Liban et la sécurité des Libanais.


Maya Khadra

Maya Khadra est enseignante et journaliste franco-libanaise spécialiste du Moyen-Orient. Lauréate du Prix du journalisme francophone illustré en zones de conflits en 2013, elle a commencé sa carrière journalistique à L'Orient-Le Jour et a enseigné dans plusieurs établissements scolaires et universitaires à Beyrouth avant de s'installer à Paris. Elle est professeur de communication et de culture générale à l'IPAG Business School. Régulièrement invitée sur les chaînes télévisées françaises et arabes pour commenter l'actualité au Moyen-Orient : LCI, BFM, Franceinfo, Arte, Al Arabiyya, Skynews.

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