En faisant adopter le projet de loi finances de la sécurité sociale ( PLFS) , le Premier ministre peut exciper un succès parlementaire. Son habileté à bâtir un compromis dans un contexte politique de très fortes contraintes ne manquera pas d’être souligné, voire loué tant par les observateurs les plus avisés des joutes politiciennes que par ceux qui dans le bloc gouvernemental cherchent depuis plusieurs mois une voie étroite pour stabiliser une situation institutionnelle sans précédent  dans l’histoire de la V ème République.

Mais par-delà l’impression immédiate, cette apparente victoire est grevée de menaces. Elle s’opère au nom de la stabilité et de la raison mais dans ses tréfonds elle accroît la première et s’effectue au prix de la seconde . C’est une coagulation de la peur du retour aux urnes qui a permis l’adoption du PLFS , grâce aux deux anciens partis de gouvernement , PS et LR, qui auront servi de stabilisateurs à un bloc central minoritaire. Au moins le premier pourra afficher des gains, notamment la suspension de la réforme des retraites, quand le second apparaîtra comme apostasiant ses convictions. Pour LR, la messe est dite; embourbé dans le marécage d’un marais sans autre objectif que sa survie, le parti héritier de l’UMP a coupé lui-même la route de sa potentielle reconstruction. Son Président , Bruno Retailleau, quand bien même aura t’-il appelé à ne pas soutenir le texte, n’est pas parvenu à ce stade à contenir l’irrédentisme de son groupe à l’Assemblée nationale.

Le compromis, mot-totem du moment pour louanger la parlementarisation du régime, recouvrira aux yeux de larges segments de l’opinion bien plus l’idée d’arrangements politiciens qu’un consensus bâti au nom de l’intérêt général. De facto, la crise démocratique pourrait en ressortir renforcée, loin des attentes des français et sans que le corps social y voit forcément l’esprit de responsabilité dont le gouvernement veut créditer ce vote positif.

Dans les faits l’enlisement domine, rongeant les assises institutionnelles du régime, générant et surajoutant bien plus de problèmes et de questions que de solutions aux maux du pays. La suspension de la réforme des retraites présentée comme une mesure d’apaisement, outre qu’elle témoigne du peu de cas que certains politiques font de leurs convictions, illustre entre autres s’il le fallait le refus du réel : les générations futures en paieront non seulement le prix mais le coût en impactera directement la crédibilité de la France quant à sa capacité à maîtriser sa trajectoire budgétaire et bien évidemment à se reformer.

Ni la stabilité, encore moins la raison ne peuvent dés lors sortir vainqueurs de cette séquence . La fuite en avant en est la marque avec un arrière-fond toujours plus tendu de mécontentements.  A l’épreuve des décisions d’abattage des troupeaux suite à l’épidémie de dermatose nodulaire ,la colère paysanne de ces dernières heures en constitue, parmi d’ autres , un nouvel avatar. Elle raconte simplement et cruellement dans un entrechoquement de l’actualité la réalité d’un pays déclassé confronté à la déconnexion d’un théâtre politique plus motivé par sa survie que par la vie décente de nos concitoyens …


Arnaud Benedetti

Ancien rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti est professeur associé à Sorbonne-Université, essayiste et spécialiste de communication politique. Il intervient régulièrement dans les médias (Le Figaro, Valeurs actuelles, Atlantico, CNews, Radio France) pour analyser les stratégies de pouvoir et les mécanismes de communication. Parmi ses ouvrages figurent Le Coup de com’ permanent (Cerf, 2018), Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), ainsi qu’Aux portes du pouvoir : RN, l’inéluctable victoire ? (Michel Lafon, 2024). Ses travaux portent sur les transformations du discours public et les évolutions de la vie politique française.

Publications de cet auteur
Voir aussi

Paris/Alger : pour en finir avec une histoire sans fin

La condamnation en appel par la justice algérienne du journaliste Christophe Gleizes à 7 années de prison ferme aura fait office d’une « douche froide » pour tous ceux qui avaient vu dans la libération de Boualem Sansal un prélude à un apaisement des relations franco-algériennes.


0 Commentaire6 minutes de lecture

Le politique, plus que jamais !

La vocation de la NRP est de penser pour agir, de comprendre pour maîtriser, de débattre pour aider à décider aussi. Nous assumons des choix.


0 Commentaire4 minutes de lecture

Shein au BHV : autopsie d’un renoncement politique et économique

Shein au BHV : ce mariage contre-nature acte un renoncement politique. Entre urbanisme punitif et iniquité fiscale, Bernard Cohen-Hadad dénonce le sabotage de notre industrie textile et exige la fin des privilèges accordés à l'ultra-fast fashion.


1 Commentaire6 minutes de lecture

Les leçons à tirer des affaires Sansal et Christophe Gleizes

Le journaliste français Christophe Gleizes a finalement été condamné à 7 ans de prison. Contre toute attente et alors que la plupart des observateurs s’attendaient à un acquittement ou une condamnation très légère de manière à ne pas envenimer le contentieux avec la France.


0 Commentaire5 minutes de lecture

Privacy Preference Center