En obtenant la suspension de la réforme des retraites, la Néo-Gauche a enfin remporté une victoire majeure : instaurer la marche arrière automatique…
Face aux réalités démographiques, qu’il est tout de même difficile de contester (allongement de la vie –86 ans pour les femmes, 80 ans, pour les hommes–, hausse d’environ 15 ans de vie supplémentaire depuis 1945 au moment de l’instauration de la retraite à 65 ans, diminution du nombre d’actifs, donc de cotisants, par rapport au nombre de pensionnés, passant de 4 pour 1 à 1,5 pour 1, hausse du poids des retraités anciens fonctionnaires, baisse de la natalité, endettement sans fin, désindustrialisation conduisant à la perte de 2,5 millions d’emplois mais création de plus de 2 millions de fonctionnaires …), la gauche a obtenu la suspension d’une réforme notoirement insuffisante et la garantie d’une déficit supplémentaire d’environ 15 milliards d’ici à 2025. Un déficit qui viendra doubler celui déjà prévu… Déjà nous savons que la présidentielle de 2027, et les temps qui suivront, seront très largement dédiés à des débats autour de la retraite à 64 ans, alors que le COR, lui-même, évoque la nécessité d’accroitre bien au-delà le nombre d’annuités, pour un horizon de 66 ans, et qu’un pays comme le Danemark, dirigé par la gauche, se prépare au relèvement de l’âge de la retraite à 70 ans, dès 2040… Sans compter que dès aujourd’hui, la suspension de la réforme Borne va encore rendre plus difficile l’emploi des seniors et contribuer encore à dévaloriser l’apport des salariés expérimentés…
En outre, la réforme Borne devait permettre de générer des économies (environ 6 milliards en 2026 et 14 milliards en 2030 pour les régimes de retraite), de desserrer la contrainte d’endettement, et donc de contribuer à diminuer à la fois le volume d’emprunt et ses taux d’intérêt que la France doit acquitter pour se refinancer. N’est-il pas paradoxal qu’en s’arc-boutant sur la barrière des 62 ans – voire des 60 ans, à rebours de l’ensemble du monde –, les tenants de ce que l’on nomme la gauche et ceux du RN se privent de ressources (une hausse du PIB potentiel de 1,4%) pour financer à la fois l’investissement, en particulier les transitions climatiques et démographiques, et pour mener des politiques de solidarité ?
Plutôt que de chercher à préserver sur le long terme un système durable de financement des retraites adapté au vieillissement de la population, ceux qui s’affirment comme progressistes prennent le risque de faire imploser le système par répartition. Ils ouvrent les vannes pour une approche par capitalisation à laquelle ils se disent pourtant farouchement opposés. Comprenne qui pourra…
Les postures politiques et syndicales de rejet de la réforme votée en 2023 semblent n’avoir qu’une seule rationalité : l’intérêt électoral de court terme et le déni du défi de la transition démographique au nom du totem des 62 ans. Rappelons que pendant que nous nous focalisons sur ce combat d’arrière-garde, l’ensemble des pays équivalents ont augmenté en moyenne de trois ans l’âge effectif de départ à la retraite. Ils ont aussi réduit leur endettement, augmenté la productivité moyenne horaire, amélioré le taux d’emploi des seniors, diminué l’immigration choisie et renforcé la formation initiale et professionnelle des résidents.
S’il est vrai que demander aux actifs de travailler plus longtemps présente un coût social pour une partie d’entre eux (fatigue, usure, pénibilité, renoncement à son temps libre), rappelons aussi qu’une large portion de la population a plaisir à travailler et que l’emploi est également un levier de lien social et de sentiment d’utilité. Faut-il rappeler combien de nouveaux retraités tombent rapidement dans la déprime, voire la dépression, et combien perdent en qualité de santé très vite après le début de la retraite ?
La réforme de 2023 n’a rien d’antisocial, bien au contraire. Restaurer l’équilibre financier limite le transfert de charges budgétaires, déjà trop élevé, vers les générations futures qui devront en outre faire face à une dette environnementale. Est-ce être réactionnaire ?
Changer de regard sur l’âge
On rappellera aussi que penser une société soutenable et solidaire de la longévité, qui devrait être un objectif politique clair, devrait conduire à agir, pour faire évoluer les conditions et la rémunération du travail, en faisant aussi évoluer les modes de management. Allonger la durée d’exercice professionnel peut aussi permettre de contenir les taux de cotisations pour financer les retraites, et donc préserver la compétitivité des entreprises et, comme le salaire net perçu par les actifs. De même, face à la nouvelle donne démographique, l’enjeu politique serait de changer de regard sur les retraités comme sur la vie à la retraite. Et sortir d’une posture victimaire totalement hors-sol. Rappelons, à ce propos, que l’âge a rajeuni et qu’un retraité de 70 ans d’aujourd’hui ne ressemble guère à celui des années 1950 ou 2000…
Défendre un accès à la retraite le plus tôt possible comme projet de société, c’est une forme d’hémiplégie mentale où le travail apparait seulement comme une souffrance, une oppression et un asservissement, jamais comme un levier d’émancipation, de réalisation de soi et de lien social. Il s’agit de saisir que la retraite est la poursuite de la vie, et non une étape magique sans histoire et sans contraintes, et qu’elle peut contribuer à l’émancipation sociale des personnes et à la production de liens sociaux plus forts, ou bien à l’isolement et au sentiment d’inutilité.
Enfin, on notera que la société de la longévité implique aussi de penser l’accompagnement des aînés les plus fragiles alors qu’à partir de 2031, durant un quart de siècle, les générations du baby-boom vont atteindre et dépasser l’âge de 85 ans, là où le risque de perte sévère d’autonomie prend son envol. Comment financer et accompagner cette réalité tout en continuant de s’endetter et de ne pas travailler ?
Photo : S. Leitenberger (Adobe Stock)
Serge Guérin
Serge Guérin, né en 1962, est sociologue et professeur à l’INSEEC Grande École, spécialiste des questions du vieillissement, de la place des seniors dans la société et des dynamiques intergénérationnelles. Ses travaux s’inscrivent dans le champ de l’éthique de la sollicitude. Il est notamment l’auteur de Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? (Michalon).
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