Cette fois, les images ont fait le tour du monde, près de 450 femmes et enfants massacrés dans une maternité, des corps de bébés pendus, des décapitations, une purge ethnique avérée. Le Soudan s’invite dans l’actualité et peut-être enfin dans les consciences.
C’est une crise silencieuse, de celles que l’on évoque rarement, sauf lorsque les bourreaux se mettent eux-mêmes en scène. Des images satellites, des vidéos sur les réseaux sociaux ont viralisé les pires exactions : viols collectifs, tueries de civils à bout portant, fosses communes. Une confirmation de crimes contre l’humanité. En 2025, les États-Unis ont officiellement évoqué des actes de génocide perpétrés par les Forces de soutien rapide (FSR), avec la complicité de puissances étrangères, comme les Émirats arabes unis.
Face à face : les FSR, milice paramilitaire commandée par le général Hemetti, et les Forces armées soudanaises, l’armée régulière dirigée par le général Al-Burhan. Anciens alliés lors du coup d’État de 2021, mais divisés sur la transition vers un gouvernement civil, les deux hommes se livrent une bataille totale pour le contrôle du pays et de ses ressources, l’or notamment.
Le bilan de la guerre civile est édifiant : près de 12 millions de déplacés, 15 millions d’enfants menacés par la faim et les épidémies. La famine est déclarée dans plusieurs régions, notamment au Darfour et dans les monts Nouba, où des camps de déplacés sont coupés de toute assistance. La prise de villes clés s’accompagne toujours d’exécutions sommaires et de viols.
À El Fasher, ville conquise après plusieurs mois de siège, ce sont les populations non arabes qui ont été ciblées, dans une logique impitoyable de nettoyage ethnique. Héritières des milices Janjawid, principaux auteurs du génocide de Darfour au début des années 2000, les FSR en appliquent les méthodes, avec un ciblage méthodique de populations noires.
Un condensé de la nouvelle donne géopolitique en terre d’Afrique
Face à ce drame, la communauté internationale semble impuissante et dépassée. Entre un traitement médiatique succinct et une apparente indifférence diplomatique, l’impression est cruelle d’une Afrique exclue des priorités géopolitiques mondiales. Marginalisé, le Soudan se trouve pourtant au cœur de la nouvelle cartographie des luttes d’influence sur le continent. Émirats arabes unis, Russie, Arabie saoudite, Égypte, Iran, Turquie, Érythrée y défendent des intérêts spécifiques à travers le soutien à l’une ou l’autre partie.
Les grandes puissances n’ont pas érigé le Soudan en priorité. C’est un fait. Pour sortir de la crise, une action internationale coordonnée serait pourtant indispensable. Sans pression sur les belligérants directs et sur les puissances régionales qui s’affrontent par procuration, le pays risque de sombrer dans un chaos durable sur fond de partition, avec une menace de déstabilisation de toute la région.
Les agences des Nations Unies et les ONG reconnaissent un accès humanitaire compliqué, aggravé par un détournement de l’aide et un manque de financement. Les donateurs sont rares : seulement le quart des 4,2 milliards de dollars nécessaires cette année a été mobilisé. L’aide est régulièrement détournée par les belligérants.
L’absence de médiatisation contribue à l’impression d’effacement de ce drame. Les raisons sont là encore diverses : priorité accordée par les rédactions à d’autres conflits, mais aussi complexité de la problématique, une « guerre de généraux » dans laquelle il est difficile de distinguer « les gentils et les méchants ». Les deux camps sont sur le banc des accusés. S’ajoutent les restrictions d’accès pour les journalistes ainsi que la coupure d’Internet dans certaines zones du pays.
Reste la question de la hiérarchie des vies avec l’invisibilisation d’un conflit où les victimes sont majoritairement des populations noires, une question qui fait dire à Hamad Gamal, réfugié soudanais en France et fondateur du média Sudfa : « Cela remet en cause notre propre valeur humaine. »
Soudan-Gaza : deux traitements, deux regards
Le traitement accordé au Soudan comparé à celui du Proche-Orient révèle des biais systémiques dans la façon dont le monde réagit aux crises. La question se pose tristement : celle de la valeur des vies africaines et noires dans l’agenda médiatique et politique planétaire.
Difficile de ne pas établir un parallèle entre le regard que porte le monde sur deux régions où se déroulent simultanément des drames humanitaires. À Gaza, la mobilisation est omniprésente et la couverture médiatique permanente. Au Soudan, la mobilisation est inexistante et la couverture médiatique sporadique. Au-delà de la formule « no Jews, no news », ce conflit ne s’intègre pas dans la grille de lecture qui a le vent en poupe, celle de la rhétorique impulsée par le courant décolonial.
Au Proche-Orient, un prisme binaire résume Israël à l’agresseur et Gaza à la victime. Au Soudan, le narratif antiimpérialiste n’a pas sa place. La guerre civile est perçue comme une guerre africaine lointaine, sans lien direct avec les intérêts sécuritaires et économiques des puissances occidentales. La simplification manichéenne de réalités complexes est impossible puisque le conflit oppose deux factions militaires sans agenda politique clair ni « héros » identifiables. Les enjeux – contrôle de l’or, accès stratégique à la mer Rouge, rivalités ethniques, ingérences étrangères – sont difficiles à expliquer.
Cette dimension géographique mais aussi raciale explique en partie l’indifférence : les crises africaines sont systématiquement moins couvertes que celles du Moyen-Orient ou de l’Europe. Elles font également l’objet d’une moindre mobilisation des institutions internationales. Les acteurs régionaux (Émirats, Égypte) bloquent souvent les initiatives internationales ; les puissances occidentales, peu impliquées, exercent une pression moindre.
Le 3 novembre, le bureau de la Cour pénale internationale s’est saisi des derniers massacres. Au même moment s’achevait une autre séquence judiciaire, relative cette fois aux années 2003 et 2004 ; le Darfour était déjà le terrain de crimes contre l’humanité. Il a fallu attendre 2020 pour que le principal chef janjawid se rende et soit jugé. Rebaptisé « le tueur à la hache » pour avoir frappé certaines de ses victimes à coups de hache avant d’ordonner à ses troupes de les abattre, Ali Kosheib a été reconnu en octobre 2025 coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. À son encontre, la CPI a prononcé ce 9 décembre une peine de 20 années d’emprisonnement.
Geneviève Goëtzinger
Geneviève Goëtzinger est journaliste et dirigeante d’entreprise dans les médias et le conseil en stratégie de communication.
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