Il y a quelque chose de brisé dans le rapport entre Paris et ceux qui la font vivre. En dix ans, notre capitale a perdu 136 000 habitants. Cette hémorragie démographique n’est pas un hasard statistique ; c’est un vote avec les pieds. Parmi ceux qui partent, on trouve de nombreux entrepreneurs, collaborateurs et familles de classes moyennes, chassés par l’insécurité, une qualité de vie qui se dégrade et un coût de la vie devenu prohibitif.

Ce déclin démographique masque une autre fracture, celle d’une économie à deux vitesses. Si l’exécutif parisien se félicite des 101 000 créations d’entreprises en 2024, ce chiffre en trompe-l’œil dissimule un record sombre : un bond de 22 % des défaillances, frappant de plein fouet l’économie de proximité. Commerçants, artisans, restaurateurs, services de proximité : ce sont eux qui subissent les frictions systémiques d’une ville devenue hostile, tandis que seules certaines grandes structures semblent tirer leur épingle du jeu.

Le Livre blanc que la CPME Paris publie aujourd’hui n’est pas une simple liste de doléances corporatistes. C’est un cri d’alarme et une feuille de route pour sortir de la « mandature perdue » que nous venons de vivre.

 

La fin du déni sur la sécurité et la propreté

Le fossé entre les discours officiels et le vécu des Parisiens est béant. Alors que les statistiques de la Préfecture affichent une baisse de la délinquance, le sentiment d’insécurité, lui, explose : 73 % des chefs d’entreprise se disent insatisfaits de la sécurité des biens et des personnes. Ce n’est pas un « sentiment » irrationnel. C’est chaque jour la réalité quotidienne des vols à l’étalage, des incivilités, des dépôts sauvages, et des 2 000 signalements quotidiens sur l’application « Dans ma rue ».

L’insécurité, la saleté et le désordre sont des répulsifs commerciaux. Nous demandons une véritable police de proximité, armée, et dont les pouvoirs seraient délégués aux Maires d’arrondissement, au plus près du terrain. Le Maire d’arrondissement doit devenir le « DRH » des équipes de propreté et de sécurité sur son secteur.

 

Un modèle financier à bout de souffle

Cette dégradation du service public est d’autant plus inacceptable qu’elle s’accompagne d’une dérive financière inquiétante. La dette de la Ville atteint désormais 9,3 milliards d’euros, plaçant la capacité de désendettement de la capitale à 32 ans, soit presque le triple du seuil de prudence autorisé.

Pour financer ce « quoi qu’il en coûte » municipal, l’entreprise marchande est traitée comme une variable d’ajustement, une véritable « vache à lait ». Les chiffres sont accablants : en dix ans, la taxe foncière a bondi de 87,9 % et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères de 68,1 %. Cette pression fiscale, jugée insatisfaisante par 71 % des dirigeants, est punitive. Nous exigeons un moratoire fiscal pour les TPE-PME durant la prochaine mandature et un audit indépendant des dépenses publiques pour cesser de gaspiller l’argent des Parisiens.

 

Logement et mobilité : sortir des dogmes

L’autre urgence est de permettre aux travailleurs essentiels de se loger. Aujourd’hui, un recrutement sur cinq échoue faute de logement. La politique de la Ville, avec ses préemptions coûteuses et ses normes comme le « pastillage » ou la « mixité fonctionnelle », a figé le marché et fait fuir les investisseurs privés. Il faut assouplir l’encadrement des loyers et réserver l’accès au logement social aux travailleurs « clés » (infirmiers, boulangers, serveurs, etc.), via une cotation spécifique.

Sur la mobilité, le dogmatisme a transformé Paris en une ville de conflits d’usage. Nous ne voulons pas le retour du « tout-voiture », mais la fin de la guerre aux professionnels et aux franciliens. Quand un artisan sur dix refuse des chantiers dans le centre à cause des embouteillages, c’est toute la ville qui se grippe. Il faut un plan de mobilité pragmatique à l’échelle du Grand Paris, développer l’intermodalité responsable, et non des aménagements décidés unilatéralement sans étude d’impact économique.

 

Reconstruire un pacte de confiance

Notre enquête est formelle : le jugement des dirigeants d’entreprise sur la politique municipale actuelle est massivement négatif. Ils dénoncent une déconnexion administrative et opérationnelle totale.

Pour recréer du lien, il faut des actes forts. Nous proposons l’instauration d’un « Parisian Small Business Act » pour que la commande publique devienne enfin un levier de croissance locale. L’objectif est ambitieux mais nécessaire : atteindre 50 % de TPE-PME dans les achats de la Ville. C’est par ce type de mesures concrètes, loin des postures idéologiques, que nous relancerons la machine.

Les élections municipales de 2026 doivent marquer le tournant du pragmatisme. Nous appelons les chefs d’entreprise à s’engager dans le débat, non par partisanerie, mais par civisme. La création d’un Conseil économique, social et environnemental parisien (CESEP) est la condition sine qua non de notre soutien.

Nous voulons être partenaires, pas spectateurs. Paris a besoin d’un sursaut. Elle a besoin de retrouver l’équilibre entre sa vocation internationale et le respect de ceux qui, chaque jour, lèvent le rideau, nettoient les rues, soignent les habitants et créent de la valeur. Il est temps de rebâtir Paris et la confiance.


Bernard Cohen-Hadad

Bernard Cohen-Hadad est entrepreneur et président du Think Tank Étienne Marcel. Membre de la Société d’économie politique, il est aussi président de la commission du développement économique du Conseil économique, social et environnemental régional en Île-de-France. Il est également membre de la Chambre de commerce et d’industrie de la Région de Paris-Île-de-France. Auteur de L'Avenir appartient aux PME paru chez Dunod, Bernard Cohen-Hadad est l’auteur de nombreuses tribunes publiées dans les médias. Il a été membre de l’Observatoire de l’épargne réglementée, de l’Observatoire du financement des entreprises, de l’Observatoire des PME et ETI par le marché et du Comité consultatif du secteur financier (CCSF). Il participe actuellement à l’Euro Retail Payment Board (ERPB) auprès de la Banque centrale européenne, au Comité national des moyens de paiements (CNMP) et au Comité pour l’éducation financière (EDUCFI). Il est membre du Conseil scientifique de l’École supérieure des métiers du droit.

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