Le constat porté par l’administration Trump sur l’Europe,
dans La Stratégie de la sécurité nationale de novembre
2025, est cinglant, humiliant, mais, à bien des égards,
fondé.
En tout cas, il converge avec les analyses publiques de
certains depuis plusieurs décennies.
Notre continent est devenu le maillon faible de l’Occident,
selon l’appréciation convergente de ses alliés, de ses
compétiteurs et de ses adversaires.
Cette fragilisation trouve son origine dans la mise en place,
au cœur même de l’Europe, d’une Union européenne
conçue sur des bases néolibérales et post-nationales, dès
l’Acte unique puis le traité de Maastricht.
De ce document de l’administration Trump a été retenue
essentiellement la question de l’immigration issue des
civilisations arabo-musulmanes et africaines, immigration
largement incontrôlée, travaillée par les islamistes.
Effectivement, elle cristallise, dans l’ensemble des sociétés
européennes, des dérèglements culturels, politiques,
économiques, sociaux, de délinquance, géopolitiques et
démocratiques.
Toutefois, ce seul
constat demeure partiel, car il ne remonte pas aux causes
profondes de ces désordres, seulement abordées dans le
document américain .
L’Union européenne a en effet été structurée par des
gouvernements néolibéraux, de gauche comme de droite,
qui ont délégué l’exercice de leurs responsabilités à une
technostructure se présentant comme démocratique,
s’irresponsabilisant ainsi face à leurs peuples.
Ce contournement de la souveraineté nationale — pourtant
condition de la souveraineté populaire et donc de la
démocratie elle-même — a fait des marchés et des
techniques l’alpha et l’oméga des politiques structurelles
de l’Union.
Le tout sous le contrôle de juridictions « indépendantes »,
en réalité néolibérales et politiquement irresponsables,
échappant à toute sanction des citoyens.
Il n’a fallu que peu de temps pour que cette architecture
produise ses effets : affaiblissement de l’Europe, repli des
peuples, dissociation croissante entre nations, comme
l’illustre l’état préoccupant de la relation franco-allemande.
La puissance, en temps de paix comme en temps de
guerre, procède d’un principe unique : la cohérence entre
l’imaginaire d’un peuple et ses institutions, c’est-à-dire la
solidité du lien unissant gouvernants et gouvernés au sein
de la nation.
Or certains dirigeants européens considèrent désormais
que, l’unification des peuples ne pouvant plus reposer sur
les marchés, la peur de la guerre avec la Russie suffirait à
justifier une Europe fédérale.
Il s’agit d’ un mortel contresens, qui entraîne une fuite en
avant face aux perspectives de paix en Ukraine : l’extérieur
est convoqué pour tenter de produire artificiellement une
Europe politique, alors même que celle-ci se délite par le
bas.
Cette logique, suicidaire et irresponsable, se déploie au
détriment des peuples européens, et alors même que les
États-Unis réévaluent désormais leurs priorités
stratégiques, tel qu’énoncé explicitement dans le
document.
L’administration Trump poursuit ses propres intérêts,
distincts de ceux des Européens, tout en sachant que
l’effondrement du continent les contraindrait à s’exposer
davantage, car derrière la Russie se profile la Chine.
Elle se montre à cet égard plus réaliste que les
néoconservateurs américains, à la remorque desquels
s’est mise l’UE depuis Maïdan.
L’administration Trump sait que tout procède, ultimement,
de la question de la souveraineté nationale.
Que l’histoire se fait par le bas et non par le haut, comme le
pensent les néoconservateurs américains, dont les grands
idéologues furent trotskistes dans leur jeunesse.
Nous vivons aujourd’hui le chaos produit par le
néolibéralisme, le retrait des peuples et le retour des
nations.
L’administration Trump observe, comme d’autres, que — à
l’exception notable des gauches danoise et finlandaise —
les classes populaires et moyennes sont désormais
captées par des formations issues d’une extrême droite en
mutation. D’où les signaux adressés en leur direction,
perçus comme un moindre mal.
Par inculture, intérêts et manichéisme, les élites
néolibérales, qu’elles viennent de la gauche ou de la droite,
refusent d’analyser lucidement la situation européenne.
Elles préfèrent se raconter la fable d’un axe
Trump–extrême droite–Poutine, tout en sollicitant
implicitement la permanence américaine, alors même
qu’elles ont contribué à sortir l’Europe de l’histoire.
Elles l’ont fait non seulement par une immigration qui
désarticule la culture européenne et le quotidien des
peuples, mais aussi en fragilisant l’identité européenne,
dont la vocation, depuis Mare Nostrum, a été de faire de la
diversité un commun, et non de l’opposer.
Elles l’ont fait en sapant les fondements mêmes de cet
édifice : les nations, lieux où se nouent souveraineté et la
démocratie.
Les États dans l’UE néolibérales se retournant contre leurs
nations, la défiance envers les gouvernants s’accroît et la
tentation est grande chez ces derniers de limiter la liberté
d’expression notamment sur les réseaux sociaux.
Pour que l’Europe devienne une puissance dans le monde
et contrebalance le messianisme américain, elle doit
remettre ses institutions — l’UE — en conformité avec son
imaginaire, en allant vers une Europe des nations
conforme à Mendès et à de Gaulle, et non en la
fédéralisant.
Il est temps de tirer en profondeur les enseignements du
désastre actuel.
Ce document de l’administration Trump nous y invite et
oblige.
Stéphane Rozès
Stéphane Rozès est politologue, président du cabinet de conseil Cap. Ancien directeur général de l’Institut d’études CSA, il y fit sa carrière de 1991 à 2009 après la Sofres (1986-1991) et BVA (1985-1986). Il a enseigné à Sciences Po Paris (1990–2023), à HEC (2008–2011), et a été chroniqueur à France Inter, LCP-Assemblée nationale, Public Sénat, BFM Business et France Culture. Il fut expert pour la « Consultation mondiale sur la lutte contre le réchauffement climatique » lors de la COP 21 de Paris. Il enseigne aujourd’hui à l’Institut catholique de Paris, intervient comme expert à la demande de la presse écrite et audiovisuelle, et contribue à des revues (Le Débat, Commentaire, Études, La Nouvelle Revue Politique, Revue de la Défense nationale) et à des ouvrages collectifs. Il est membre d'honneur du CEPS et l’auteur de Chaos. Essai sur les imaginaires des peuples. Entretiens avec Arnaud Benedetti, Éd. du Cerf, 2022.
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