Florence Bergeaud-Blackler est docteur en anthropologie et chargée de recherche au CNRS (HDR). Depuis trente ans, elle s’intéresse aux normativités islamiques dans les sociétés sécularisées, au salafisme et aux réseaux islamistes et fréristes en Europe. Elle est l’auteur de plusieurs dizaines d’articles et ouvrages académiques dont Le marché halal ou l’invention d’une tradition (Seuil, 2017) et Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête (Odile Jacob, 2023) traduit en plusieurs langues. Présidente du Centre Européen de Recherche et d’Information sur le Frérisme, elle est consultante pour des organisation publiques et privées, donne régulièrement des conférences en France et en Europe. Elle est également membre du Comité stratégique du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure, Paris (CRSI). En 2024, elle a été nommée au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur.

Le chef de l’association juive d’Australie Robert Gregory a dit de l’attentat de Sydney qu’il était prévisible . Partagez-vous son constat ?

Son avis est largement partagé dans la communauté juive. Le rabbin Habad Eli Schlanger, tué lors de la fusillade de Bondi Beach, avait interpellé en septembre le Premier ministre australien Anthony Albanese dans une lettre ouverte publiée sur Facebook dans laquelle Il lexhortait à « ne pas trahir le peuple juif » .Mais rien n’y avait fait. Le dimanche 21 septembre 2025, l’Australie, comme le Royaume-Uni et le Canada reconnaissaient officiellement l’État palestinien, sans y adjoindre les conditions de sécurité minimale pour Israël et la disapora juive. Une hausse des actes antisémites de 300% et des faits antérieurs rapportés dans la presse australienne laissaient présager des attaques à venur.

En janvier 2025 la police avait saisi une caravane chargée d’explosifs dans la banlieue Sydney, un matériel était accompagné d’une liste de cibles liées à la communauté juive. En, Juillet 2025 Un homme avait incendié la porte d’entrée d’une synagogue à Melbourne alors que les fidèles y dînaient pour Shabbat, tandis qu’un autre groupe de manifestants prenait d’assaut un restaurant israélien situé à proximité. Deux synagogues de Sydney ont été vandalisées à deux jours d’intervalle, avec des croix gammées et d’autres slogans antisémites.

A ces faits il faut ajouter que selon un suivi des protestations liées à la guerre en Israël et à Gaza, L’Australie est considérée comme un pays où les manifestations sont peu fréquentes, mais elle a connu certaines des plus importantes manifestations pro-palestiniennes au monde avec plus de 900 rassemblements depuis octobre 2023 (contre environ 34 protestations pro-israéliennes dans la même période).

Et les preches sans ambiguité comme celui d’Abu Ousayd un prédicateur australien : « Le djihad fait assurément partie de notre religion ; Allah préfère les moudjahidines qui combattent pour Sa cause à ceux qui restent inactifs » ou l’imam australien Ahmad Zoud de Sydney : « Les Juifs sont des criminels sanguinaires et perfides, des terroristes et des monstres – Tous les Juifs ne sont pas comme ça, seulement la plupart »

La jonction entre l’islamisme sous ses différentes formes et des forces politiques d’extrême-gauche commence à être documentée aujourd’hui en Europe et également en France . Est-ce le cas aussi en Australie ?

On trouve en Australie, comme partout en Occident, des dynamiques de coalition antiimpérialiste et décolonialiste autour du palestinisme, cette cause qui rassemble les organisations de gauche et les organisations islamistes qui ont par ailleurs peu de choses en commun. Vous aurez remarqué que les cadres de LFI qui n’ont pas eu un mot de soutien pour Israel le 7 octobre ont condamné cette fois la violence antisémite. Mais l’un des leurs, Thomas Portes a donné une explication de l’attaque : « L’objectif des terroristes a toujours été de diviser le peuple et de dresser les communautés les unes contre les autres. Ceux qui ont commis cet acte sont au service des terroristes. Les musulmans ne sont pas responsables de l’attentat antisémite de Sydney ».  Donc les assassins musulmans ne sont pasresponsables, ils se sont mis au service de « vrais terroristes » qui veulent diviser.
Les LFI sont en ligne avec Mohammad Nazzal un haut responsable du Hamas, qui a déploré l’attentat en expliquant que  « Netanyahu est responsable ; le génocide à Gaza a engendré des sentiments violents chez les musulmans comme chez les non-musulmans ; d’autres actes de ce genre sont à prévoir dans le monde entier ». La gauche radicale et l’islamisme ne dénonce l’antisémitisme que pour pointer la responsabilité à Israël et à l’Occident qualifiés d’islamophobe. On n’est pas loin de la théorie complotiste selon laquelle les tours jumelles ont été détruites par le Mossad, la CIA etc. pour en accuser les musulmans.

Comment expliquez-vous les difficultés qui lors de chaque nouvel attentat surgissent dès lors qu’il s’agit de caractériser pour ce qu’ils sont ces attentats : terroriste , islamiste , antisémite? L’efficience de la réthorique sur l’islamophobie en est-elle la raison exclusive ?

Pas seulement. Lutter « contre l’antisémitisme » est un leurre, c’est aussi efficace que de lutter contre la haine ou l’atmosphère. On ne lutte pas efficacement contre des effets, il faut identifier et combattre les causes. Si nos médecins mettaient tous leurs moyens pour supprimer la fièvre sans s’intéresser aux différentes maladies qui la causent, ils ne guériraient rien. Toute la presse a pointé du doigt l’antisémitisme, le Monde a titré « le nouveau bain de sang de l’antisémitisme », a parlé comme d’autres de fusillades, d’incidents etc. Il y a très peu de médias qui ont parlé de la cause manifestement islamiste, qu’elle soit portée par des Etats comme l’Iran ou comme des réseaux comme celui mondialisé des Frères musulmans à la tête des manifestations pro-Hamas. Même les grandes organisations juives comme la LICRA, le CRIF, des rabbins n’osent pas nommer le problème par peur des amalgames. Mais justement en ne nommant pas on crée des amalgames.

De plus la dénonciation de l’antisémitisme sans l’identification de ses causes aboutit à enfermer les juifs dans une situation de victime éternelle et à faire courir le soupçon sur ceux qui ne sont pas antisémites. Il en découle que les islamistes qui ont pourtant un discours très clair sur leur volonté de destruction d’Israël et des juifs (avant de s’occuper des autres mécréants) peuvent continuer à massacrer des juifs sans être véritablement inquiétés. Autre conséquence les non juifs pensent que c’est un « problème juif » et ne veulent pas être mêlés à cela. Ne pas nommer le responsable islamiste et son projet entraine la division et le crime. Il faut vraiment stopper ce cycle infernal. L’islamisme nous a déclaré la guerre, il s’attaque aux juifs pour nous atteindre tous. Tant que nous déplorons « l’antisémitisme » et non ses causes, ils savent que nous ne ferons rien d’autre que de pleurer sur le sort des « autres ».


Arnaud Benedetti

Ancien rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti est professeur associé à Sorbonne-Université, essayiste et spécialiste de communication politique. Il intervient régulièrement dans les médias (Le Figaro, Valeurs actuelles, Atlantico, CNews, Radio France) pour analyser les stratégies de pouvoir et les mécanismes de communication. Parmi ses ouvrages figurent Le Coup de com’ permanent (Cerf, 2018), Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), ainsi qu’Aux portes du pouvoir : RN, l’inéluctable victoire ? (Michel Lafon, 2024). Ses travaux portent sur les transformations du discours public et les évolutions de la vie politique française.

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