La France est soumise à un double choc : la désindustrialisation, dont la liquidation de l’usine Brandt à Orléans signe un nouvel épisode dramatique , et la désagriculturisation dont le déficit de notre balance commerciale agricole marque pour la première fois depuis un demi-siècle un seuil d’alerte préoccupant .

Ce double événement dit tout de la crise française. La France sous le choc des globalisations laisse filer ses capacités productives . Comme souvent il ne faut pas s’arrêter au temps immédiat pour comprendre au plus près une situation . Tout remonte à loin. Le décrochage s’opère voici cinquante ans, singulièrement pour l’industrie, avec les deux chocs pétroliers qui surgissent dans les années soixante-dix. Depuis lors, ce décrochage ne cesse de s’accentuer. En 1994, les accords du GATT fondant  l’OMC et visant à un abaissement des droits de douane incluent le secteur agricole dans le processus de libéralisation du commerce international . Déjà les agriculteurs se soulèvent et ceux qui parmi les politiques s’opposent à cette inclusion sont à l’époque renvoyés à une forme d’obscurantisme économique .En 1992, à la tribune de l’Assemblée, le très  séguiniste alors  François Fillon, alors que les négociations du GATT battent leur plein, lance à l’adresse des gouvernements de gauche de François Mitterrand le mot de Churchill :  » Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur : vous aurez le déshonneur et la guerre « .

Le fait est que refusant d’être libéral et ne pouvant protéger son économie la France aura laissé à découvert son économie. Le modèle social aura certes amorti les crises politiques mais dans un monde de concurrence effrénée il se sera payé aussi d’une perte toujours plus grandissante de souveraineté économique là où de nouveaux compétiteurs tant à l’intérieur de l’Europe qu’à l’extérieur ne cotisaient pas aux mêmes exigences redistributives et aux mêmes dispositions normatives. La politique commerciale, compétence exclusive de l’Union européenne , aura fait le reste, ouvrant toujours plus largement les marchés du vieux continent aux productions extérieures.

À quelques encablures de la signature du Traité du Mercosur, reportée opportunément au mois de Janvier, la colère paysanne dopée par la crise sanitaire illustre toutes les injonctions paradoxales du paradigme français, véritable noeud gordien que nos gouvernants ne parviennent pas à trancher. Lestée socialement et réglementairement, empêchée commercialement, la France est prise ainsi dans un étau dont le malaise de la ruralité constitue l’une des multiples figures mais non la moindre.

Car c’est encore la question existentielle de sa souveraineté, alimentaire celle-ci, qui est en jeu. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 70 % des fruits, 50 % des légumes et des volailles, 35% de la viande bovine sont désormais importés. La vieille terre nourricière, nonobstant l’abnégation ancestrale de ses agriculteurs et leurs efforts permanents d’adaptation, ne garantit plus l’autosuffisance, non pas parce qu’elle ne le pourrait plus mais parce que de Bruxelles à Paris le grand effacement paysan aura été planifié sur l’autel d’une vision tout autant technocratique que libre-échangiste  dont nous n’avons sans doute pas fini de solder les conséquences.

Faute de réformes internes et en l’absence d’un volontarisme politique qui infléchisse le cours d’une construction européenne qui a de trop échappée aux nations , il ne faut pas s’étonner que l’érosion de nos capacités productives génèrent une situation abrasive. Celle des campagnes témoigne de l’immensité des problèmes des agriculteurs dont nombre d’exploitations, faut-il le rappeler, sont à court de trésoreries. Elle dit aussi le drame d’un pays qui n’ayant  pas su préserver ses outils de production accroît sa dépendance, perdant mutadis mutandis son autonomie stratégique, au risque de ne plus être qu’une vaste zone de services et de consommation. Mais une économie sans production est-elle en mesure de satisfaire les ambitions politiques d’un État qui entend encore peser sur les affaires du monde? C’est sans doute la question à laquelle devraient réfléchir et, espérons-le répondre ,les prétendants à la prochaine présidentielle…


Arnaud Benedetti

Ancien rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti est professeur associé à Sorbonne-Université, essayiste et spécialiste de communication politique. Il intervient régulièrement dans les médias (Le Figaro, Valeurs actuelles, Atlantico, CNews, Radio France) pour analyser les stratégies de pouvoir et les mécanismes de communication. Parmi ses ouvrages figurent Le Coup de com’ permanent (Cerf, 2018), Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), ainsi qu’Aux portes du pouvoir : RN, l’inéluctable victoire ? (Michel Lafon, 2024). Ses travaux portent sur les transformations du discours public et les évolutions de la vie politique française.

Publications de cet auteur
Voir aussi

La priorité aux loisirs ne fait pas une société

Travailler plus ? Le débat revient comme un boomerang dans le pays des 35 heures ! La France se distingue par ses débats picrocholins autour du refus d’élever l’âge de départ à la retraite, pour prendre en compte les réalités démographiques.


0 Commentaire17 minutes de lecture

« Débats » sur la protection sociale en France, sortons d’urgence des impensés liés aux dérèglements climatiques et aux enjeux démographiques

Alors que la France se cherche une majorité pour voter un budget, le Parti socialiste a remis la question des retraites, et dans une moindre mesure de la protection sociale, au centre de l’actualité politicienne en en faisant une condition de leur non-censure.


0 Commentaire9 minutes de lecture

Démographie, dérèglement climatique, et confiance dans l’action locale : vers la double transition

Par rapport à la notion d’écoresponsabilité et face aux enjeux du vieillissement, il importe de défendre une position originale autour de la double transition écologique et démographique.


0 Commentaire10 minutes de lecture

Privacy Preference Center