Criminaliser la colonisation ?

Le 24 décembre,  L’APN ( Assemblée populaire algérienne) a voté à l’unanimité une loi criminalisant la colonisation française et demandant des excuses et des réparations à la France.

Le 24 décembre, c’est à dire le jour de Noël, mais aussi, curieuse coïncidence,  le jour anniversaire du détournement de l’Airbus d’Air France qui reliait Alger à Paris le jour de Noël 1994

Que dit exactement ce texte ?

D’abord, ce texte de loi n’est pas vraiment une nouveauté puisqu’en 2010 déjà,  Abdelaziz Belkhadem,  ancien Premier ministre algérien et alors secrétaire général du FLN avait proposé une telle proposition de loi. Le Président algérien, Abdelaziz Bouteflika, avait dû mettre fin à une telle initiative,  la jugeant inopportune et de nature à provoquer inutilement Paris à une époque où déjà les contentieux s’accumulaient.  

Quinze années plus tard, et dans un contexte autrement tendu, Alger ressort  ce texte du placard et le fait voter sans que le président Tebboune ne s’y oppose.  

Cette proposition de loi exige de la France des « réparations intégrales » et des « excuses formelles » pour « les crimes » de son passé colonial en Algérie. Il  qualifie le système colonial de « crime d’Etat imprescriptible », engageant la responsabilité pleine et entière de la France.   

Il dresse l’ inventaire des «crimes coloniaux » : massacres collectifs – notamment ceux du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, ayant causé plus de 45 000 morts selon des historiens algériens –, « extermination » de tribus par enfumades, incendies de villages, «tortures systématiques et violences sexuelles institutionnalisées». Il mentionne également les spoliations foncières massives, les déplacements forcés de populations, ainsi que les essais nucléaires et chimiques dans le Sahara.  

La loi souligne aussi la haute trahison de ceux qui ont collaboré avec la France,  formule qui vise particulièrement les harkis. Le texte demande enfin,  c’est un élément nouveau,  l’indemnisation  par la France de ses crimes puisque celle-ci est reconnue coupable. La France est sommée de réparer et indemniser. Réparer les dégâts de toute nature commis dans le Sahara, indemniser les populations pour les crimes commis.  

Comment doit-on interpréter ce texte ? 

Une telle loi appelle plusieurs remarques de ma part.  

Outre le fait que ce débat n’est pas vraiment nouveau, puisque déjà engagé il y a quinze ans, cette loi magnifie l’obsession mémorielle algérienne. Elle institutionnalise en quelque sorte le débat mémoriel  à un moment où après la libération de Boualem Sansal, on pouvait espérer une petite accalmie ou au moins une pause.  

Ce vote, non seulement relance le débat côté algérien,  mais en outre le place sur un terrain juridique. Evidemment, si l’on décidait d’entrer dans ce débat mémoriel, il faudrait alors aborder également les crimes du FLN, ceux de juillet 1962 notamment, ce que la loi votée le 24 décembre ne fait évidemment pas. 

 Par ailleurs,  demander des réparations pour les essais nucléaires, c’est oublier que ces essais ont été effectués avec l’accord du gouvernement algérien, puisque une clause des Accords d’Evian permettait à l’ancienne puissance coloniale de poursuivre ces essais nucléaires avec l’assentiment des négociateurs algériens jusqu’en 1967 (article 4 de la « Déclaration de principes relative aux questions militaires »). Dans un entretien que j’avais eu avec lui, en 2020, le Président Tebboune avait d’ailleurs reconnu que l’Algérie ayant donné son accord à la poursuite des essais, une telle indemnisation pourrait ne pas aller de soi… 

Autre élément : une telle loi va évidemment, relancer et crisper le débat politique en France. On peut aisément parier que d’un bout à l’autre de l’échiquier politique des voix s’élèveront pour, soit soutenir, soit s’indigner de ce vote à Alger. L’extrême gauche trouvera sympathique l’initiative algérienne, et la droite la critiquera. Le gouvernement, par la voix de M. Barrot, s’est contenté de « déplorer »… 

 Autre remarque et pas la moindre : un tel texte va à l’encontre des Accords d’Evian, puisque ces derniers établissaient une amnistie générale pour les crimes commis pendant la guerre et avant le 19 mars 1962 ( « Déclaration du gouvernement relative aux mesures d’amnistie »). 

 Enfin, ironie de l’histoire,  par ce texte de loi, l’Algérie prend en quelque sorte au mot le Président français ou plutôt le candidat Macron qui avait lui-même en février 2017, parlé de la colonisation comme un crime contre l’humanité. Alger semble dire « chiche » : vous avez parlé de crime contre l’humanité, eh bien, criminalisons la colonisation française ! C’est « un prêté pour un rendu » : Alger rappelle ainsi au Président de la République sa fameuse phrase lancée pendant sa campagne électorale. 

En un mot, ce texte, bancal au plan juridique, est très habile politiquement l’Algérie réussissant à « mettre le doigt là où cela fait mal »… 


Xavier Driencourt

Ancien ambassadeur en Algérie, à deux reprises, Xavier Driencourt a également été ambassadeur de France en Malaisie, conseiller au cabinet d'Alain Juppé et directeur général de l'administration au Quai d'Orsay, enfin chef de l'inspection générale des affaires étrangères.

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