La guerre d’Algérie offre décidément l’exemple d’un conflit de tous les paradoxes. Juridiquement, ce n’est pas une guerre avant qu’elle ne soit reconnue comme telle par la loi du 18 octobre 1999, puisque l’Algérie est composée de départements français. Chronologiquement, les historiens sont partagés quant à ses débuts réels.

S’il est commode de retenir la date symbolique du 1ᵉʳ novembre 1954 voulue par le FLN comme un grand soulèvement, les faits sont têtus et ce soulèvement est de bien faible ampleur. Il faut attendre le mouvement de Philippeville et sa répression de l’été 1955 pour voir les débuts opérationnels réels de la guerre. Mais certains historiens avancent, par ailleurs, que c’est le 8 mai 1945, avec les manifestations de Sétif et leur répression, que commence véritablement la guerre d’Algérie.

La fin du conflit n’est guère plus facile à fixer, mais surtout fait bien davantage encore polémique dans les élaborations mémorielles françaises.

Le président Chirac a créé en 2003 la journée d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie chaque 5 décembre.

La loi du 6 février 2012 crée, chaque 19 mars, une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie, mais aussi des combats en Tunisie et au Maroc.

En outre, des reconnaissances officielles à des événements ou des groupes sociaux acteurs de la guerre ont été distingués. Ainsi a été créé par la ville de Paris, le 28 mars 2024, une journée des « victimes du massacre » du 17 octobre 1961 et chaque 25 septembre une journée nationale en hommage aux Harkis et aux forces supplétives.

La date du 19 mars est-elle pertinente pour marquer la fin de la guerre d’Algérie ? L’historien constatera que c’est après cette date que se déroule un certain nombre de massacres de masse. Le 26 mars 1962, c’est la fusillade de la rue d’Isly où la troupe tire sur les « pieds noirs ». Cette période est aussi marquée par la stratégie de la « terre brûlée » de la part de l’OAS et par des exécutions sommaires d’Algériens. Les massacres et disparitions – avec viols et enlèvements – du 5 juillet de la part des « marsiens » – ces résistants de la 25ᵉ heure – débouchent sur au moins 700 exécutions/disparitions d’Européens en quelques heures, notamment à Oran. C’est aussi le début du massacre des harkis considérés comme des « collabos ». Rappelons d’ailleurs que le 19 mars n’a aucune réalité ni officielle ni mémorielle, puisqu’elle constitue simplement la date où les troupes françaises reçoivent simplement l’ordre unilatéral de mettre en œuvre un cessez-le-feu.

Le 2 juillet est la date de l’indépendance de l’Algérie et ne saurait être retenue du côté français.

À l’égard du choix d’une date commémorative, le monde combattant est très divisé. Pour l’Union nationale des combattants (UNC), le 19 mars est une date infamante, synonyme de trahison et d’abandon.  L’Union fédérale (UF) est sur la même ligne, tandis que pour la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie (FNACA) et l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), cette dernière émanation du Parti communiste à sa création et encore proche de lui aujourd’hui, reconnaissent pleinement le 19 mars et l’ARAC l’associe à la lutte contre le fascisme.

Le 5 décembre semble, aux regards de l’historien, une date plus neutre, non tant pour marquer la fin de la guerre que pour honorer les morts français dans ce conflit.


François Cochet

François Cochet est professeur émérite d’histoire contemporaine de l’université de Lorraine-Metz. Il est spécialiste des guerres et de l’expérience combattante (XIXᵉ-XXIᵉ siècles) ainsi que des questions mémorielles des conflits contemporains. Il préside le conseil scientifique du Mémorial de Verdun et collabore régulièrement avec le musée de la Grande Guerre de Meaux. Il est l’auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages personnels ou en direction, dont 1914-1918, fin d’un monde, début d’un siècle, Paris, Perrin, 2014 et 2017 (prix Louis Marin de l’Institut) et Georges Catroux, un militaire bien diplomate, Perrin/Pierre de Taillac, 2025.

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