L’annonce par le Président de la République de sa volonté de confier à Reporters sans frontières (RSF) le soin de labelliser les médias auxquels les citoyens doivent accorder leur confiance a littéralement sidéré une bonne partie de l’opinion, des médias et de l’échiquier politique.

Alors que jamais depuis les débuts de la Cinquième République la liberté d’expression n’a été autant menacée du fait de la lawfare sans merci déclarée par la gauche et l’extrême gauche contre ceux qui n’adhèrent pas à leurs idées et qui sont aujourd’hui trainés devant les tribunaux pour « islamophobie » ou « provocation à la haine raciale » (parmi d’autres supposées félonies), voilà qu’une organisation se revendiquant nettement à gauche se trouverait chargée d’une mission de service public consistant à faire la police de la pensée !

Déjà se profilaient certains signes annonciateurs du souci d’encadrer plus étroitement l’information, non pas des chaines publiques pourtant astreintes à des obligations de service public dont, au premier chef, la neutralité, mais bien des chaines privées et, parmi celles-ci, de CNews dont la réussite éclatante gêne semble-t-il la galaxie du pouvoir.

N’oublions pas d’abord que c’est cette même association RSF qui avait saisi en 2022 le Conseil d’État du rejet par l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle, ex-CSA) de sa plainte contre CNEWS. Que la chaine écope depuis sa création d’un maximum d’amendes de la part de l’Arcom ne suffisait sans doute pas, il fallait expressément mettre en cause son caractère soi-disant partisan, voire « d’extrême-droite » suivant le vocable à la mode pour désigner ceux qui ne se conforment pas à la bien-pensance.

C’est cette approche qu’a retenue, dans son arrêt du 13 février 2024 (N° 463162), le Conseil d’État. Il a accueilli les arguments de RSF au soutien d’une mise sous tutelle des chaines de télévision, singulièrement en l’espèce de CNEWS, en posant le principe suivant lequel, pour respecter le pluralisme, l’Arcom doit apprécier « la diversité des courants de pensée et d’opinion des programmes diffusés par la chaine » non pas « en s’en tenant à la seule prise en compte du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques », mais en veillant à cette diversité « par l’ensemble des participants aux programmes ». Autrement dit, contrairement à la protection des données personnelles sensibles que sont celles relatives aux orientations politiques, l’Arcom se voyait attribuer pour tâche une manière de fichage politique des intervenants non politiques.

Et tout ceci en réalité, comme l’explique sans fard le rapporteur public du Conseil d’État dans ses conclusions sur cette affaire, contre une seule et unique chaîne : CNews. Le but affiché était en effet d’éloigner « le spectre de l’émergence d’une Fox News à la française », le rapporteur public n’hésitant pas même à comparer, de façon implicite, Vincent Bolloré aux « ogres » que sont « William Randolph Hearst et Rupert Murdoch… à qui a été prêtée, à tort ou à raison, l’intention d’exercer une influence sur le pouvoir politique ». Plus clairement encore, pour justifier la solution proposée, le rapporteur public s’était référé aux suggestions de deux « chercheuses (…) déplorant l’absence de décompte des éditorialistes et personnalités non politiques ». Ces deux chercheuses n’étaient autres que Julia Cagé et Claire Sécail : la première, épouse de Thomas Piketty et économiste, a écrit un ouvrage intitulé « Pour une télé libre, contre Bolloré » et la seconde, du CNRS, a écrit contre Vincent Bolloré un pamphlet intitulé « Touche pas à mon peuple ». Laissant transparaître une condescendance certaine vis-à-vis des classes populaires, l’auteure y attaque le « projet idéologique de Vincent Bolloré », cause de « l’abrutissement du débat public ». Il n’est pas étonnant qu’avec de telles références, le Conseil d’État, suivant son rapporteur public, ait imposé un contrôle par l’Arcom des sensibilités politiques de tous les intervenants de la chaine, même non politiques.

Conscient sans doute de l’absurdité d’un tel contrôle, le Conseil d’État en a clarifié, tout en la réduisant, la portée dans un arrêt du 4 juillet 2025 (N° 494597) rendu sur recours de l’association Cercle droit et liberté, de l’Observatoire du journalisme (OJIM), de l’association La Courte échelle – Journalisme et de l’association de défense des libertés fondamentales (ADLF). Les associations requérantes contestaient le refus implicite de l’Arcom de mettre en demeure les chaines de télévision publiques TF1, M6, TMC et BFM ainsi que les services radiophoniques France Inter, France Culture, RMC et RTL de « modifier la liste [des] animateurs, chroniqueurs et invités autres que les personnalités politiques » intervenant dans les différentes émissions de ces services « de façon que les divers courants de pensée et d’opinion disposent d’un temps de parole proportionnel à leur poids dans la société française« . Elles affirmaient une évidence tirée de l’égalité devant la loi, à savoir que la limitation de la liberté de communication qui vaut pour CNews vaut de la même façon pour tous les autres médias tant publics que privés. Et c’est là que le bât blessait sans doute au point que le Conseil d’État a atténué la rigueur de la solution adoptée dans son arrêt RSF c/Arcom de 2024. Un an plus tard, il a ainsi jugé que l’Arcom n’avait pas à appréhender les orientations politiques des participants non politiques aux émissions des chaines, mais devait seulement « porter une appréciation globale sur la diversité des expressions, sans avoir à qualifier ou classer les participants aux programmes au regard des courants de pensée et d’opinion ».

Les courants politiques qui dominent depuis des décennies tant les médias que la vie intellectuelle n’en continuent pas moins de s’inquiéter des critiques qui se font jour à l’encontre des thèses dont ils ont imprégné la société française, qu’il s’agisse de l’anticapitalisme sous-tendu par une frénésie fiscale pour faire payer « les riches », de la promotion d’une politique migratoire pratiquement sans freins ou encore des préoccupations de sécurité qui ne seraient qu’un « ressenti » inspiré des factions populistes les plus mal venues.

Sans doute la jurisprudence plus nuancée issue de l’arrêt de 2025 du Conseil d’État n’a-t-elle pas suffi à calmer les appréhensions de ces courants politiques, dans la période préélectorale que nous vivons face à CNews qui, par ses thématiques et la qualité de ses intervenants, attire un nombre toujours croissant de fans, constituant autant d’électeurs potentiels susceptibles de basculer du « mauvais côté ».

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’idée d’une labellisation « professionnelle » pour lutter contre la « désinformation » et les « fake news ». Face au tollé suscité par cette proposition, l’Elysée a posté sur son site une vidéo pour administrer la preuve que le Président de la République n’a jamais eu l’idée d’un label officiel de l’Etat.

Mais charger RSF de le délivrer n’est-il pas bien pire ? Au nom de quoi une organisation politisée comme l’est RSF, et dont le directeur général se prévalait il y a peu sur son site d’avoir « participé à la mobilisation en France contre la mainmise croissante de l’homme d’affaires Vincent Bolloré dans les rédactions », serait-elle qualifiée pour certifier l’information au regard des critères de vérité et de pluralisme ? Au nom de quoi cette organisation serait-elle en mesure d’offrir une quelconque garantie d’impartialité alors qu’elle n’a cessé d’attaquer « l’empire médiatique de Vincent Bolloré » jusqu’à diffuser un « documentaire choc » sur le système Bolloré ? Au nom de quoi le caractère ou non de fake news devrait-il être apprécié par une association militante, alors que le droit pénal français, notamment via les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, contient tout ce qu’il faut pour sanctionner comme il se doit les propos qui dépassent les limites de la liberté d’expression, laquelle doit cependant être la règle et ses limitations, l’exception ?

Comme l’a très bien analysé Simon Fitoussi dans son excellent ouvrage « Pourquoi les intellectuels se trompent » : « une fake news désignée comme fake news est moins dangereuse qu’une idée fausse à laquelle l’intelligentsia adhère ». Fitoussi en cite maints exemples, dont celui du journal Le Monde qui traitait Simon Leys, auteur d’ouvrages démasquant la dictature de Mao, de « Charlatan, tout en portant au pinacle ceux qui chantaient les louanges de la Révolution culturelle ».

L’actualité de ces considérations n’échappera à personne alors que l’on constate chaque jour l’ampleur des dommages causés par la propagande fallacieuse du Hamas et de l’Autorité palestinienne et de leurs soutiens dans l’opinion, chez les jeunes et de manière plus générale, en termes de risques de sécurité pour les Français juifs en France.

La démocratie est fragile. Au lieu d’initiatives qui se retourneraient contre elle, tirons les leçons du passé et gardons-nous au nom de la vérité d’attenter à l’un « des droits les plus précieux de l’homme » qu’est, selon l’article 11 de la Déclaration de 1789, la libre communication des pensées et des opinions.


Noëlle Lenoir

Noëlle Lenoir est juriste. Avocate à la Cour, elle a commencé sa carrière comme administrateur au Sénat, puis a été directeur à la CNIL et directeur de cabinet du ministre de la Justice. Elle est conseiller d'Etat honoraire et membre honoraire du Conseil constitutionnel. Elle a été ministre des Affaires européennes (2002-2004) lors de l'élaboration du traité constitutionnel européen (rejeté par référendum) et de l'accession des pays de l'Europe centrale et orientale à l'UE. Elle s'est aussi dédiée à l'éthique en présidant divers comités d'éthique (UNESCO, Union européenne, Radio France, Parcoursup...). Elle a été déontologue à l'Assemblée nationale. Elle est présidente du Comité de soutien international de Boualem Sansal.

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