La maire de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé son refus de verser à l’établissement Stanislas le forfait communal d’un montant de 1,3 million d’euros, pourtant dû en application de la loi. Elle justifie cette décision par son désaccord avec le fait que l’établissement dispense à l’ensemble de ses élèves une instruction religieuse visant à leur donner, sans discrimination, une connaissance structurée de la foi catholique ainsi que des autres religions. Selon elle, un tel enseignement devrait être strictement facultatif. Elle met également en cause la capacité de l’établissement à mettre en œuvre le programme d’Éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) conformément aux exigences de l’Éducation nationale.
Or, une inspection est actuellement en cours à Stanislas concernant précisément l’application de ce programme, et rien, à ce stade, ne permet d’établir l’existence de manquements significatifs. Par ailleurs, il serait pour le moins naïf de postuler que l’EVARS est correctement dispensé dans l’ensemble des établissements publics, notamment dans certains territoires où les difficultés sont connues. En refusant de s’acquitter de ses obligations légales, la Ville de Paris s’autorise ainsi à méconnaître frontalement la loi Debré, votée en 1959 à l’initiative du général de Gaulle, laquelle organise de manière équilibrée les droits et devoirs des établissements privés sous contrat ainsi que les financements publics auxquels ils peuvent prétendre. Qui s’y opposera ?
Ni La France insoumise, qui, par la voix de son député Paul Vannier, appelle à un durcissement drastique des contrôles des établissements privés sous contrat et à la suppression des dispositifs fiscaux incitatifs en faveur des dons aux écoles privées hors contrat. Ni ces figures médiatiques, telles que Clémentine Autain, qui dénoncent plus largement les financements publics de l’enseignement privé et revendiquent leur conditionnement à une mixité sociale imposée par l’État, calculée à partir de l’indice de position sociale (IPS) des établissements.
Pas davantage la gauche dans son ensemble, qui voit dans la relance d’une « guerre scolaire » contre l’enseignement libre un moyen commode de ressouder ses rangs à l’approche des élections municipales de 2026. Le serment de Vincennes de juin 1960 — par lequel les forces de gauche et d’extrême gauche s’étaient engagées à combattre jusqu’à la victoire le financement public de l’école libre — demeure, à l’évidence, une matrice idéologique toujours opérante. Cette guerre scolaire est aujourd’hui revendiquée sans détour par les militants de gauche, qui l’assument comme un marqueur identitaire.
La droite et le centre embarrassés
À droite et au centre, en revanche, cette guerre embarrasse. On préférerait ne pas avoir à la mener, et l’on ne s’y résout qu’à contrecœur, sur un mode défensif et ponctuel. Les responsables politiques se mobilisent volontiers lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts financiers des établissements privés sous contrat, mais se montrent nettement plus timorés dès lors qu’il est question de défendre leurs libertés pédagogiques, éducatives et organisationnelles. Beaucoup semblent avoir oublié qu’une école libre associée à l’État par contrat n’a jamais été conçue comme une école publique bis, identique en tous points à l’Éducation nationale, à laquelle serait simplement adjointe, de façon marginale et dissuasive, une option catéchétique facultative.
Assumer un enseignement structuré des faits religieux, proposer une manière propre de contribuer à la justice sociale ou au renouvellement des élites, transmettre les savoirs du programme national dans le respect de la liberté de conscience des familles qui ont choisi ces établissements précisément pour leur projet éducatif et leurs valeurs : autant d’éléments qui inquiètent une partie des responsables politiques de droite, gagnés à une forme d’uniformité pédagogique et à une laïcité d’évitement.
La crainte — souvent surjouée — de réclamer des libertés qui pourraient ensuite être instrumentalisées par des acteurs islamistes les paralyse, tout comme la peur de donner le sentiment d’abandonner l’éducation populaire en défendant les droits de l’enseignement privé. À l’heure où l’attention des responsables politiques est largement captée par la gestion de leur image et de leur trajectoire personnelle, la défense de l’école libre apparaît comme une véritable patate chaude.
C’est pourtant méconnaître un fait massif : près de 45 % des jeunes ont désormais été scolarisés, à un moment ou à un autre de leur parcours, dans un établissement privé sous contrat, et plus de 60 % des Français déclarent souhaiter inscrire leurs enfants dans l’enseignement privé si l’obstacle financier disparaissait. Pour les familles qui ont fait l’expérience de l’école privée, il est manifeste que la réussite scolaire et humaine de leurs enfants doit beaucoup à cette opportunité. Les témoignages abondent. Et si certains « experts » s’emploient à relativiser les performances académiques de ces établissements sous prétexte de neutraliser les biais sociaux, les parents, eux, ne s’y trompent pas : ils votent avec leurs pieds dès qu’ils en ont la possibilité. Il faudrait d’ailleurs mentionner également les nombreux enseignants de l’enseignement public qui confient leurs propres enfants à l’enseignement privé, sans compter leurs propres ministres successifs.
Non, nous n’aimons pas la guerre scolaire. Et oui, nous aurions infiniment mieux à faire que de la livrer. Nous pourrions, par exemple, mutualiser les ressources, partager certains enseignants de spécialité, les équipements, les innovations pédagogiques, plutôt que de nous disqualifier mutuellement. Mais lorsque la gauche, alliée à l’extrême gauche, s’acharne contre l’enseignement libre, la première exigence est de le défendre avec lucidité et détermination, non de capituler en brandissant des symboles de bonne conscience.
Car, en réalité, l’école libre constitue un bien commun. Riche ou pauvre, chaque enfant devrait pouvoir en bénéficier, sans que l’État n’érige des barrières financières excluant de fait les familles les plus modestes. Le libre choix scolaire est appelé à devenir un droit social majeur de notre temps, indispensable pour faire progresser enfin l’égalité des chances — domaine dans lequel la France se distingue tristement par ses contre-performances. Si l’on veut que l’école redevienne un véritable ascenseur social et qu’elle contribue au renouveau de la méritocratie, il faudra innover et garantir à tous un accès effectif, sans discrimination financière, à l’école publique ou privée de leur choix.
Anne Coffinier
Entrepreneur social,
Présidente de Créer son école
Fondatrice de la Fondation Kairos pour l’innovation éducative – Institut de France
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