La dernière provocation du régime algérien visant à « criminaliser » la France pour sa présence durant 130 ans en Algérie est sans doute la provocation de trop. Le quai d’Orsay, après quelques heures d’hésitation, par la voix de son ministre, l’a lui-même reconnu en évoquant une initiative « hostile ». L’euphémisme du constat ne peut que témoigner de l’échec du Président de la République, qui aura ouvert une dangereuse boîte de Pandore lorsqu’il déclara, alors candidat, que la France s’était rendue coupable de « crime contre l’humanité »… Cette faute originelle aura dopé l’hystérie du ressentiment antifrançais qui, du côté des hiérarques algériens, n’aura jamais manqué de se manifester pour mieux masquer les échecs et les abus de leur pouvoir. Et si « repentance » il devait y avoir, ce serait d’abord à Emmanuel Macron de l’exercer, non pas pour que la France expie, mais en raison de ses propos d’alors, qui ont créé un appel d’air en faveur d’un régime oppressif qui, de l’autre côté de la Méditerranée, use et abuse d’un registre mémoriel hémiplégique.
Le vote à l’unanimité du Parlement algérien intervient au moment où, encore une fois, Paris s’illusionnait sur une hypothétique détente. La libération de Boualem Sansal, grâce à une médiation allemande et aussi parce que le coût de la prise d’otage de ce dernier, indissociable de la mobilisation dont il a bénéficié, était devenu trop lourd à assumer pour le président Tebboune, avait suscité un trompeur effet d’optique. Les responsables français escomptaient, comme gage de la reprise d’un dialogue apaisé, un élargissement rapide de cet autre otage français, le journaliste Christophe Gleizes. La stratégie de la discrétion qu’on a imposée depuis le printemps 2024 aux soutiens de ce dernier, quand bien même un léger frémissement médiatique commence-t-il à se faire jour, a, de ce point de vue, empêché l’indispensable pression relevant le prix à payer en termes d’image et de conséquences politiques pour les geôliers de notre ressortissant.
Parce qu’ils ont besoin de se ressouder, fragilisés par une contestation sourde mais réelle en interne, isolés qu’ils sont également sur la scène internationale après leur défaite diplomatique cuisante sur le Sahara occidental, les dirigeants d’Alger réactivent ainsi le vieux et sempiternel ressort de la dénonciation. Cette loi tombe dès lors à point nommé pour l’autocratie algéroise, qui fait fi, au demeurant, de son incompatibilité avec les accords d’Évian, lesquels stipulent une amnistie pour tous les faits antérieurs à la signature de 1962. Le réflexe systémique vient par ailleurs servir des objectifs plus circonstanciés : la détention d’un agent consulaire de l’ambassade d’Algérie impliqué dans la tentative d’enlèvement d’un influenceur en région parisienne, dont Alger souhaite le rapatriement, ainsi que l’activisme des indépendantistes kabyles en France, contre lesquels des demandes d’extradition ont été lancées. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender l’adoption d’un texte dont la visée est de faire pression sur Paris et de tendre plus encore le rapport de forces avec l’ancienne puissance coloniale.
La toxicité de la relation franco-algérienne s’avère ainsi préjudiciable tant pour la France que pour le peuple algérien, qui subit au quotidien un régime qui ne lui assure pas plus le développement que la démocratie. Sauf à refuser de voir la nature dictatoriale de l’oligarchie algéroise, la diplomatie française serait plus avisée de changer de registre dans son approche de la situation algérienne que de persister dans la chimère d’un « dialogue exigeant », pour reprendre les mots du ministre des Affaires étrangères. En cette matière, la première des exigences consisterait à mettre un terme aux facilités de circulation dont bénéficient les hiérarques qui, à Alger, vouent aux gémonies la France mais se satisfont confortablement des avantages de cette dernière dès lors qu’ils se trouvent à Paris. Le réalisme commande : pour retrouver la voie d’une relation mature avec l’Algérie — ce qui est l’intérêt bien compris de chacun des deux côtés de la Méditerranée — il faut cesser d’intérioriser la « culpabilisation » et assumer le « bras de fer » que prétendent imposer à notre pays ceux qui, à Alger, se refusent à entrer dans l’âge adulte d’un bilatéralisme responsable et apaisé.
Arnaud Benedetti
Ancien rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti est professeur associé à Sorbonne-Université, essayiste et spécialiste de communication politique. Il intervient régulièrement dans les médias (Le Figaro, Valeurs actuelles, Atlantico, CNews, Radio France) pour analyser les stratégies de pouvoir et les mécanismes de communication. Parmi ses ouvrages figurent Le Coup de com’ permanent (Cerf, 2018), Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir (Cerf, 2021), ainsi qu’Aux portes du pouvoir : RN, l’inéluctable victoire ? (Michel Lafon, 2024). Ses travaux portent sur les transformations du discours public et les évolutions de la vie politique française.
Voir aussi
23 décembre 2025
Boualem Sansal raconte à la NRP l’après-prison : « Apprendre à vivre dans la liberté »
0 Commentaire2 minutes de lecture
1 décembre 2025
Le politique, plus que jamais !
par Arnaud BenedettiFondateur et directeur de la Nouvelle Revue Politique.
La vocation de la NRP est de penser pour agir, de comprendre pour maîtriser, de débattre pour aider à décider aussi. Nous assumons des choix.
0 Commentaire4 minutes de lecture
3 décembre 2025
Shein au BHV : autopsie d’un renoncement politique et économique
par Bernard Cohen-HadadEntrepreneur, président du Think Tank Étienne Marcel.
Shein au BHV : ce mariage contre-nature acte un renoncement politique. Entre urbanisme punitif et iniquité fiscale, Bernard Cohen-Hadad dénonce le sabotage de notre industrie textile et exige la fin des privilèges accordés à l'ultra-fast fashion.
1 Commentaire6 minutes de lecture
5 décembre 2025
Les leçons à tirer des affaires Sansal et Christophe Gleizes
par Xavier DriencourtAmbassadeur.
Le journaliste français Christophe Gleizes a finalement été condamné à 7 ans de prison. Contre toute attente et alors que la plupart des observateurs s’attendaient à un acquittement ou une condamnation très légère de manière à ne pas envenimer le contentieux avec la France.
0 Commentaire5 minutes de lecture