Une jeunesse engagée, décidée à ne rien lâcher, un mouvement de contestation devenu insurrection, une fraternisation des forces armées, un bain de sang évité, un régime prévaricateur qui s’effondre comme un château de cartes, une transition à ne pas confondre avec un coup d’État, une refondation à enjeux XXL
Ne dites surtout pas au colonel Michaël qu’il est l’auteur d’un putsch. Il vous rétorquera avec calme mais fermeté que la transition malgache est en tous points singulière. De fait, la situation de Madagascar ne saurait être comparée à celle du Sahel central. Atypique dans la prise du pouvoir, après la chute en trois jours seulement d’Andry Rajoelina par la volonté de la jeunesse. Atypique dans le processus de confirmation du colonel Michaël Randrianirina par la Haute Cour Constitutionnelle, après la destitution par l’Assemblée nationale du président sortant en cavale ors du pays. Atypique dans les objectifs fixés par le nouvel homme fort du pays.
Mercredi 10 décembre, une vaste concertation nationale sera lancée, avec un calendrier de la refondation, qui prévoit notamment un référendum sur la constitution puis une élection présidentielle d’ici deux ans. Les questions de gouvernance, les sujets institutionnels aussi, sont au cœur des attentes dans un pays où la mauvaise gestion et la corruption entretiennent la pauvreté de la population. 80% de la population vit ici avec moins de 3 dollars par jour.
Les demandes sont en réalité fortes et multiples, d’ordre social naturellement avec en premier lieu l’accès à l’eau et à l’électricité ; d’ordre politique avec la garantie du droit d’expression de chacun. A Madagascar, tout est allé très vite et tout doit aller plus vite encore. La feuille de route du gouvernement Rajaonarivelo en fonction depuis le 28 octobre, est dense et ne peut souffrir d’aucun retard ou compromission. La refondation reste sous surveillance de cette GenZ à la fois bienveillante et exigeante à son endroit.
Envers la jeunesse, une obligation de résultats
La GenZ ne se laisse pas oublier, vigilante et prête à reprendre la rue à tout moment. Elle demande à être associée aux prochaines assises nationales dont l’organisation a été confiée au Conseil des Églises malgaches du FFKM. Elle a lancé une web TV pour mobiliser la jeunesse et lui donner directement la parole. Elle exige des résultats rapides et concrets ; la décevoir n’est pas une option pour les cinq colonels qui ont tous rang de chef d’État. Le pouvoir a fixé ses priorités : eau, électricité, problèmes nutritionnels dans le sud, rétablissement d’un état de droit. Une feuille de route dense à mener vitesse accélérée.
L’impatience génère déjà des humeurs dans la société civile, où certains craignent une forme de continuité. La simple évocation de vente de stocks de bois de rose a fait ces derniers jours l’objet de fortes réactions, considérée comme une marche arrière par rapport au combat contre le pillage des ressources naturelles. Les rumeurs et les attaques persistent sur les réseaux sociaux, parfois instrumentalisées par une vieille classe politique qui n’a pas dit son dernier mot.
Car cette classe politique a beaucoup à craindre de la volonté de rupture des nouvelles autorités. La refondation fait de la lutte contre l’impunité un axe fort de son action. A Madagascar, la corruption est généralisée. Elle est associée au visage et au nom de l’homme d’affaires Mamy Ravatomanga incarcéré dans une prison de haute sécurité à Maurice. Elle a prospéré autour d’Andry Rajoelina que le nouveau pouvoir a la ferme intention de juger au pays. Toutes les personnes ayant commis des infractions feront désormais l’objet de poursuites judiciaires.
A l’international, l’exigence d’une feuille de route claire
La stabilisation du pays passe également par l’acceptation de la refondation par la communauté internationale, bailleurs de fonds et instances multilatérales. Madagascar a besoin de leur appui. Celui-ci est conditionné à l’obtention de garanties précises et respectées. D’ores et déjà, la banque mondiale a décidé de confirmer le maintien de ses financements. A l’issue d’une pause, les décaissements ont repris. Montant du portefeuille : 4 milliards de dollars destinés à financer 23 programmes structurants, production et accès à l’électricité, eau et assainissement, réhabilitation des routes et développement du numérique.
Très importante également la décision de l’Union africaine d’inviter ses États membres, mais au-delà la communauté internationale, à maintenir un indispensable soutien à Madagascar, notamment par la mobilisation de ressources financières. Le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA demande même à la Commission de l’UA d’intégrer Madagascar parmi les pays éligibles à la FASTI – Facilité Africaine de Soutien aux Transitions Inclusives-, un programme appuyé par le PNUD pour accompagner les États en transition.
Un revirement à 360° par rapport à l’attitude de l’organisation aux lendemains de l’éviction d’Andry Rajoelina. Elle avait alors adopté une série de sanctions à l’égard du pays. Désormais le Conseil de Paix et de Sécurité ne parle plus de « coup d’État militaire » ni de « changement inconstitutionnel » mais évoque « les autorités malgaches ». Un glissement qui n’est pas purement sémantique, même si Madagascar reste à son grand regret, suspendue de l’organisation.
Pour y retrouver toute sa place, il est demandé au pays de présenter une feuille de route consensuelle, claire et inclusive assortie d’objectifs de référence claires et d’un calendrier précis. C’est pour le régime de refondation la condition de la confiance, de ses pairs et au-delà de l’ensemble de ses partenaires. Le pouvoir malgache ne s’y trompe pas, qui joue tous azimuts la carte de la transparence et de la main tendue. Après avoir boudé un Emmanuel Macron dont l’implication supposée dans l’évacuation d’Andry Rajoelina a choqué à Madagascar, le colonel Michaël a pris son homologue français au téléphone et écouté sa volonté d’appui. Après avoir privilégié les médias russes pour ses premières interviews à l’international, il a accordé un entretien à France 24. Des gestes d’ouverture conformes à une tradition d’alliances multiples, fondée sur un principe d’équidistance et une diplomatie de proximité.
Pour réussir, Madagascar a besoin de toutes les bonnes volontés. De cela, le colonel Michaël Randrianirina a bien conscience. Il sait aussi que cette réussite serait la sienne. De là à envisager sa propre participation à la prochaine présidentielle, la question demeure entière. Dans un premier temps, il a semblé ne pas exclure cette hypothèse, expliquant que « son engagement futur dépendra du regard porté sur son action ». Sur France 24, il s’est montré plus prudent, précisant que « toutes ses pensées sont concentrées vers l’action ». Des réponses pas forcément contradictoires pour une question sans doute prématurée.
Seule certitude pour celui qu’à Madagascar, l’on ne désigne déjà que par son prénom : le moment venu, c’est bien la Gen Z qui décidera du destin du colonel Michaël. C’est d’elle qu’il tient sa légitimité, acquise par sa démonstration de force dans la rue. C’est elle qui demain la lui renouvellera peut-être, cette fois dans les urnes.
Geneviève Goëtzinger
Geneviève Goëtzinger est journaliste et dirigeante d’entreprise dans les médias et le conseil en stratégie de communication.
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