Par rapport à la notion d’écoresponsabilité et face aux enjeux du vieillissement, il importe de défendre une position originale autour de la double transition écologique et démographique.

Par hypothèse, l’idée de prendre en compte en même temps les enjeux climatiques et la transition démographique semble plus efficiente que de vouloir hiérarchiser les priorités. De même, plutôt que d’opposer les générations et de traiter ces sujets majeurs en silo, il serait plus efficace et cohérent de les aborder ensemble.

Il s’agit de repartir du terme de « transition » au sens de changement structurel des règles du jeu, des comportements et des imaginaires pour saisir que la question se retrouve dans les deux champs. Qu’il s’agisse de la question démographique ou de la dynamique écologique, les deux impliquent une transformation très profonde tant des comportements que de l’économie. Par ailleurs, on peut noter que dans les deux cas, il y a encore un déni de la société et des décideurs.

Face aux deux transitions, on assiste à un même refus de l’obstacle. Or, on ne fera face à ces deux transitions qu’en pensant « double transition » et dans une logique de coopération. Deux transitions, c’est aussi deux chances pour répondre aux enjeux. En laissant l’idéologie de côté… En laissant aussi de côté les représentations éculées sur les générations, les croyances progressistes valorisant systématiquement le nouveau contre l’ancien, et l’innovation contre l’expérience.

La notion de « tragédie des horizons »

Pour avancer sur ce chemin, la notion de « tragédie des horizons » de Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre est utile. En 2015, il avait utilisé ce terme au moment de la COP 15 pour dire la difficulté de demander des efforts tout de suite alors que les effets de l’inaction ne se verraient que plus tard. La prévention en santé et l’adaptation à un futur vieillissement posent le même problème. Dans les deux cas, la tentation est d’attendre et de remettre à plus tard les changements et actions. À cela s’ajoute une peur que les « vieux » sclérosent le pays, soient des conservateurs attardés… Il y a la peur de vieillir et le déni des dérèglements climatiques. Or, dans les deux cas, on peut déjà agir à son niveau, faire de la prévention, changer certaines habitudes. Ce qui devrait d’ailleurs être plus facile à 20 ou 30 ans qu’à 70 ou 80…

Pour donner corps à cette idée de convergence des deux transitions, partons d’exemples concrets.

Ainsi, en adaptant à la fois l’habitat au vieillissement, contribuant en particulier à la diminution des chutes et accidents chez soi et favorisant la vie à domicile plus longtemps, et qu’en même temps, des travaux d’isolation contribuent à éviter les déperditions d’énergie, les deux transitions sont traitées ensemble et améliorent la qualité de vie, la baisse de la consommation de produits et équipements de santé, comme la protection de l’environnement et la lutte contre les dérèglements climatiques. De même, limiter la vitesse en ville pour la sécurité des passants, notamment âgés, contribue à la préservation de la santé et à la réduction des émissions de CO₂.

Prévention à tous les étages

Un des enjeux majeurs qui concerne les deux transitions, c’est la prévention : si je pratique une activité physique, si je suis attentif à ma manière de me nourrir, si j’évite tabac, alcool et autres drogues, je me donne bien des chances pour vivre plus longtemps en bonne santé avec un mode de vie plus bénéfique pour la planète. Une moindre consommation de médicaments, et un soutien, de fait, aux modes de productions plus bienveillants pour l’environnement et la protection des ressources en eau, participent d’une vie bonne et de la préservation de l’écosystème.

Dans cette perspective, lorsque des acteurs du monde HLM ou des collectivités décident de favoriser les jardins partagés, ils permettent à la fois d’améliorer la qualité de vie des gens et leur pouvoir d’achat par un accès gratuit à des fruits et légumes cultivés, en rendant l’environnement plus beau et en favorisant l’exercice physique et le lien entre les générations, ce qui est bon pour la santé. En même temps, ces jardins permettent de produire sans intrants et en favorisant les circuits courts, ce qui est bon pour lutter contre le dérèglement climatique.

Pour avancer dans la double transition, posons l’option de libérer le local pour favoriser les initiatives. C’est là où les gens vivent qu’ils peuvent se mobiliser le mieux concrètement et qu’ils ressentent les effets des décisions. Faire confiance à ceux qui disposent de l’expérience du quotidien plutôt que de multiplier les normes contribuerait à renforcer l’adhésion à la démocratie et à améliorer l’efficacité des politiques de proximité mises en œuvre. Revivifier la démocratie par le local va de pair avec la réponse face aux deux transitions. C’est dans les lieux de vie de la ruralité que l’écologie est la plus vivante. Difficile, d’ailleurs, d’imaginer le rural sans les vieux… Qui ferait le boulot, qui serait élu, qui entretiendrait les espaces, qui ferait vivre le commerce de proximité, qui ferait du maraichage ? Sortons d’un conflit entre générations, tout le monde est concerné. Il s’agit de s’unir face au défi !

Pour finir, penser la double transition, c’est aussi sortir des représentations et des imaginaires moutonniers… Le développement d’un discours assez méprisant sur les seniors, accusés de ne rien faire pour le climat alors qu’ils porteraient la responsabilité de la situation est très largement partagé, y compris par des seniors ! En parallèle, le discours angélique sur la jeunesse, forcément consciente des enjeux et moteur des changements, est très présent. Le réel est bien plus compliqué. Il y a sur cette pseudo-opposition le même placage d’une idéologie essentialiste très présente cherchant à imposer une unique grille de lecture sur l’ensemble des comportements, à enfermer chacun dans une identité, à développer une hémiplégie morale comme disait Ortega y Gasset. Or, nous sommes des animaux sociaux pluriels avec une diversité d’identités, de personnalités, de parcours biographiques et de personnalités.

Sortir du fantasme de la guerre des générations

Pas de guerre climatique des générations ! Bien sûr, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus sensibles à la question du réchauffement climatique que ceux de 1950. Mais les anciens jeunes de 1950 ne sont pas moins conscients des enjeux. Les études le confirment : 74% des moins de 35 ans et autant des plus de 65 ans se disent inquiets des conséquences du dérèglement climatique pour la France[1]. De même, si 75% des moins de 35 ans se disent préoccupés par le changement climatique, ils sont aussi 72% chez les plus de 60 ans[2].

En termes de comportement dans le quotidien, les jeunes seraient-ils plus vertueux ? Une étude de la Fondation Vinci[3] montre que sur l’autoroute, les Français sont 22 % à admettre jeter des déchets par la fenêtre de leur voiture (déchets organiques, mégots, papiers ou emballages ou encore bouteilles en plastique et canettes). Les jeunes de moins de 35 ans sont 28 % à déclarer jeter leurs déchets par la fenêtre de leur voiture… De même ; 37% de. La population admet jeter des détritus dans la rue, et 50% des moins de 35 ans… Cependant, les chiffres tendent à diminuer sur la longue période.

La convergence des deux transitions se fera en mobilisant toutes les générations, plutôt qu’en les opposant. Pour faire face à la double transition, la solution ne passe pas par la défiance mais par plus de considération pour les efforts et apports des personnes qui se mobilisent. L’enjeu tient à la capacité à proposer un projet mobilisateur et positif pour l’avenir pour répondre aux conséquences des grandes transitions (technologiques, géopolitiques, écologiques et démographiques) à travers des efforts équitablement demandés, un sacré travail de pédagogie montrant aussi les gains de qualité de vie et relations humaines potentiels.

Notes et références

[1] Sondage Ipsos/CESE octobre 2023

[2] Fractures françaises, Ipsos/Cevipof, octobre 2025

[3] Baromètre de la conduite responsable, Fondation Vinci/Ipsos ; juillet 2025


Serge Guérin

Serge Guérin, né en 1962, est sociologue et professeur à l’INSEEC Grande École, spécialiste des questions du vieillissement, de la place des seniors dans la société et des dynamiques intergénérationnelles. Ses travaux s’inscrivent dans le champ de l’éthique de la sollicitude. Il est notamment l’auteur de Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? (Michalon).

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