Alors que le théâtre politique ne fait plus rire personne, notre « modèle social » prend l’eau de toutes parts. La forte socialisation de nos ressources a conduit à ce que les prélèvements obligatoires très progressifs ne soient pas suffisants depuis plus d’un demi-siècle pour financer les dépenses sociales. Résultat : la dette se creuse toujours plus, et notre refinancement apparaît toujours plus couteux. Aujourd’hui, le pays se retrouve à devoir remettre à flot ses finances publiques en réconciliant recettes et dépenses, mais comment ? Parbleu, par l’argent magique, il suffisait d’y penser !
La formidable promotion médiatique de la taxe Zucman et son relai politique porté unanimement par les partis de gauche témoignent d’une méconnaissance assez répandue du fonctionnement de l’économie. Il faut dire que la taxe « magique » propose un petit miracle qui fait rêver : à tout problème budgétaire, une solution est désormais évidente, socialement juste et chantée à l’unisson, ou presque : taxer les ultrariches en prélevant 2% du patrimoine net à partir de 100 millions d’euros. Afficher ainsi, la bataille politique semble déjà pliée : qui oserait défendre les « vilains » ultrariches ? Qu’est-ce que 1 800 foyers fiscaux en comparaison des autres 40 millions ? Il n’est donc pas surprenant que 86% des Français se déclarent favorables à l’instauration de l’impôt Zucman, selon un récent sondage Ifop, commandé par le Parti socialiste.
Dans un pays où, selon l’enquête CSA Research de juin 2025, seuls 11% des sondés considèrent recevoir de notre modèle social plus qu’ils ne donnent, alors que l’Insee indique que 57% de la population perçoivent davantage de l’État providence qu’ils ne contribuent à son financement, cet impôt magique est une bénédiction. Faire payer les très riches évite toute question et toute remise en cause de nos propres attitudes, de notre course au toujours plus de recours à l’argent public. Pourtant, dans le même temps, 58% des Français affirment qu’il y a trop d’assistanat[1].
Miracle ou mirage ?
Faut-il rappeler que la création de valeur ajoutée marchande repose sur nos entreprises privées qui emploient, produisent, innovent, investissent… et paient des impôts ? Pas d’entrepreneurs, pas de secteur privé. Le capitalisme a besoin de ressources pour se financer. Réduire les ressources propres des entreprises en les ponctionnant est très difficile à justifier économiquement, sauf s’il s’agit d’introduire une distorsion fiscale pour orienter les choix privés en encourageant ou décourageant les investissements en fonction d’une vision et d’une stratégie pour l’avenir. Il est important de préciser que ce type d’impôt, proposé par l’économiste Arthur Cecil Pigou, n’a pas de logique de rendement à court terme ni de diminution de l’endettement, mais poursuit un intérêt général. Ce n’est pas le cas de la taxe Zucman qui prétend contribuer à l’équilibre des comptes publics.
Rappelons, surtout, un point fondamental : si le fondement de cette taxe de 2% s’appuie sur un prétendu rendement de 8% du capital investi par les ultrariches, alors l’erreur d’analyse est majeure : l’État français empruntant dorénavant à 3,5%, il devrait investir lui-même dans ces secteurs à forte croissance plutôt que de restreindre leur développement en prélevant sur leur capital productif. Depuis les années 1980, tous gouvernements confondus, nos choix collectifs nous ont conduits dans une direction opposée. Et nous avons renoncé à un fonds souverain ambitieux via la constitution d’un vrai fonds de réserves des retraites. De même la retraite par capitalisation est quasi inexistante, hormis pour une minorité de fonctionnaires. Notons aussi que des gouvernements ont eu, à plusieurs reprises, recours à la vente d’actions détenues par l’État pour réduire le déficit public et non pour se désendetter.
Ensuite, rappelons aussi que la base légitime de l’impôt sur les personnes est le revenu sonnant et trébuchant disponible pour satisfaire des besoins de consommation matérielle. La taxe proposée par l’économiste Gabriel Zucman s’affranchit de cette logique et s’inscrit dans le grand projet de Thomas Piketty : taxer le patrimoine net. La taxe de 2% en serait le sommet. L’extension à tout détenteur de patrimoine pourrait se faire avec l’instauration à bas bruit d’un impôt universel progressif. Ce serait d’autant plus facile à mettre en place que les détenteurs de plus petits patrimoines sont peu mobiles et leur patrimoine souvent peu composé d’actifs professionnels. À défaut de taxer les ultrariches qui savent organiser leur exil fiscal (sauf s’ils ont été arrêtés à l’aéroport…), le Trésor public pourra se rabattre sur ceux qui ne peuvent pas partir, tout particulièrement les propriétaires occupants (classes moyennes, retraités) de biens immobiliers ayant une forte plus-value latente et dont ils jouissent de l’usage… Cette classe moyenne qui est au cœur du projet démocratique et dont l’appauvrissement pourrait contribuer à affaiblir la démocratie libérale. Sans une classe moyenne forte et dynamique indépendante de l’État, la démocratie tend à s’effondrer, relevait déjà le sociologue américain, Barrington Moore, dans les années 1960. Pour sa part, le géographe Joel Kotkin explique que les classes moyennes connaissent deux évolutions distinctes : Les classes traditionnelles indépendantes (commerçants, artisans, cultivateurs, petits entrepreneurs, etc.), très associées au marché, voient leur situation se dégrader, sont concurrencées par des acteurs disposant de monopoles et subissent toujours plus de normes ; tandis que les cadres et professions intellectuelles, qui dépendent directement ou indirectement des dépenses publiques, sont largement plus protégés et bénéficient de l’extension de la sphère publique.
Problèmes multiples, réponse unique ?
Tous ces débats accaparés par un unique projet qui, finalement, risque de ne rapporter guère plus que le montant de recettes fiscales de l’ancien impôt sur la fortune (ISF), bien loin de la baguette magique des 20 milliards d’euros annoncés, associés à l’incapacité des politiques de faire des coalitions ne sont que perte de temps. « Que tout le temps qui passe. Ne se rattrape guère… Que tout le temps perdu. Ne se rattrape plus ! », chantait Barbara… Peut-on croire vraiment que les débats centraux pour inscrire la France dans un projet d’avenir, d’abord au bénéfice des classes populaires et moyennes, comme la trajectoire non maîtrisée des finances publiques, l’envolée des taux souverains, la désindustrialisation, la mise en péril de la souveraineté agricole, la nécessité d’une transition énergétique, les nouvelles tensions géopolitiques, la pression migratoire, la chute de la natalité, l’allongement de la durée de la vie, l’entrée dans l’ère des transmissions patrimoniales avec le décès progressif des baby-boomers, les nouvelles ruptures technologiques, comme l’intelligence artificielle ou les progrès de la robotique, sans oublier l’affaiblissement du niveau scolaire, peuvent se régler par un nouvel impôt réservé aux ultra-riches ou même sur une assiette plus large ?
La recherche de réponses nécessite une analyse économique rigoureuse et non la croyance en des solutions magiques. Le pays devra trancher sur la répartition sociale de l’effort à fournir comme sur les différentes façons de débloquer les freins à la production de richesse. L’enjeu est de proposer une vision collective prenant en compte le réel, de choisir et d’affirmer le chemin du désendettement et les priorités à donner aux investissements d’avenir permettant de répondre aux enjeux climatiques, démographiques et géopolitiques.
Serge Guérin, sociologue, professeur Inseec GE, et Vincent Touzé, économiste, OFCE-Sciences Po.
Note
[1] Fractures françaises, Ipsos/Cevipof, octobre 2025
Serge Guérin
Serge Guérin, né en 1962, est sociologue et professeur à l’INSEEC Grande École, spécialiste des questions du vieillissement, de la place des seniors dans la société et des dynamiques intergénérationnelles. Ses travaux s’inscrivent dans le champ de l’éthique de la sollicitude. Il est notamment l’auteur de Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? (Michalon).
Voir aussi
3 décembre 2025
Shein au BHV : autopsie d’un renoncement politique et économique
par Bernard Cohen-HadadEntrepreneur, président du Think Tank Étienne Marcel.
Shein au BHV : ce mariage contre-nature acte un renoncement politique. Entre urbanisme punitif et iniquité fiscale, Bernard Cohen-Hadad dénonce le sabotage de notre industrie textile et exige la fin des privilèges accordés à l'ultra-fast fashion.
1 Commentaire6 minutes de lecture