Le 26 n’est plus une simple date dans un calendrier. Pour les amis du Niger et de la
démocratie, le 26 est une souffrance ravivée chaque mois par le temps qui passe et
l’oubli qui menace. Le 26 est la date du basculement du Niger dans un régime
militaire. Pour Mohamed Bazoum, ce 26 décembre marque l’entrée dans un 29ème
mois de calvaire. Depuis le 26 juillet 2023, le président est séquestré avec son
épouse Khadija. Dans une démarche presque sacrificielle, il assume les
conséquences de son refus de démissionner, convaincu que seul le peuple du Niger
peut lui retirer le pouvoir qu’il lui a octroyé. Le président traverse ce cauchemar avec
l’élégance des Justes. Il incarne le combat du droit contre les armes, de la
démocratie contre la régression.
Les mots ont un sens : le président n’est pas prisonnier. Un prisonnier s’entretient
avec son avocat, reçoit des visites, fait quelques pas dans la cour intérieure d’un
pénitencier. Ici, rien de tel. Le président – otage vit reclus dans quelques mètres
carrés, privé de tout contact, interdit même de sentir l’air extérieur sur sa peau.
Chaque jour, il s’astreint à marcher plusieurs heures dans un couloir intérieur de trois
– quatre mètres de long. Lorsqu’il ne lit pas, il fait les 100 pas.
Ce martyre infligé à un chef d’État démocratiquement élu est une indignité pour le
Niger et pour une communauté internationale qui détourne pudiquement les yeux,
embourbée dans ses impuissances. Qualifiée « d’arbitraire » par les Nations Unies
en février dernier, cette séquestration constitue pourtant une violation évidente de
toutes les règles du droit international et des dispositions de la Charte africaine des
Droits de l’Homme et des Peuples ratifiée par le Niger. En décembre 2023, la Cour
de Justice de la CEDEAO a ordonné la libération immédiate du président et de son
épouse. Une injonction restée lettre morte, tout comme celle de l’ONU. La
mobilisation serait autre si le drame se déroulait sur un autre continent qu’en terre
africaine. Pour cette raison aussi, la situation est insupportable.
Au-delà du droit, c’est de maltraitance qu’il est question. Chacun peut imaginer les
conséquences physiques et psychologiques de cette solitude partagée. Un huis clos
interrompu par la visite hebdomadaire de son médecin et par l’autorisation deux fois
par mois d’échanger au téléphone avec ses enfants. Ce calvaire, c’est aussi le leur,
cinq jeunes adultes qui assument avec dignité les affres de l’absence, l’angoisse de
l’inconnu. Leurs rares interventions publiques ont la force poignante d’une émotion
contenue.
Le calvaire de Mohamed et de Khadija Bazoum s’inscrit dans la descente aux enfers
d’un pays. Les caisses sont vides et le général Tchiani fait désormais la quête auprès
des petits écoliers, se livrant à un racket patriotique de 100 FCFA, là où le président
Bazoum avait fait de l’éducation sa priorité. En matière d’insécurité, les chiffres sont
édifiants et consternants : alors que le djihadisme reculait – 59 soldats tués en deux
ans et quatre mois de mandat Bazoum -, il explose avec 1582 militaires assassinés
sur la même durée sous le régime putschiste. Le Niger est dans l’impasse.
Cela se passe dans ce Sahel où panafricanisme rime désormais avec rejet de
l’universalisme, où des pouvoirs militaires confisquent les libertés les plus
élémentaires, condamnent au Mali l’ancien Premier Ministre Moussa Mara à un an
de prison ferme pour un tweet, dissolvent les partis politiques, imputent des faits
divers crapoteux à des personnalités présumées gênantes pour les jeter en prison, à
l’image de l’ancien ministre Ibrahim Yacouba, emprisonnent les journalistes et des
acteurs de la société civile comme l’activiste Moussa Tchangari, font disparaitre les
opposants, pratiquent des pogroms sur la base d’un tribalisme mortifère, se
gargarisent de mots creux pour dissimuler leur échec derrière une vérité alternative,
manipulent les foules à coup de désinformation massive … Et finalement entrainent
les peuples dans un marasme économique, social, sécuritaire, politique et moral.
Loin de se satisfaire de semer le chaos chez eux, ces pouvoirs illégitimes sont
désormais suspectés de fomenter des coups d’état chez leurs voisins, comme
récemment au Bénin. Un jeu dangereux qui pourrait paradoxalement inverser le
cours de l’histoire. Au Bénin, la CEDEAO a réalisé ce qu’elle aurait dû accomplir au
Niger. Elle est intervenue dès les premières heures de la tentative de putsch. La
déstabilisation a échoué. Dans la guerre totale qui se livre dans l’Afrique de l’Ouest,
les pouvoirs civils ont enfin pris conscience que chaque reculade se paie au prix fort.
Et puis, les signes sont là : Bazoum n’est pas seul. En décembre 2024, un ouvrage à
son intention « 25 lettres au président Mohamed Bazoum, philosophe, résistant,
prisonnier » édité par Karthala, s’est beaucoup lu sous le manteau au Niger. A
quelques mois du 2 avril 2026 qui marquera ses 5 années de prestation de serment
et la fin théorique d’un mandat interrompu par la force, un Collectif International de
Soutien à la Libération du président vient de se constituer à Dakar, la ville de sa
jeunesse étudiante. Il publie une lettre ouverte, incitant les Nations Unies, l’Union
Africaine, l’Union Européenne et la CEDEAO à mener une action conjointe afin que
le président retrouve la liberté. La déferlante de signatures venues du Niger
démontre une capacité nouvelle à braver la peur et l’arbitraire. Elle dit beaucoup de
l’état d’esprit d’un peuple.
Otage et bouclier de la junte, Mohamed Bazoum semble devenu son talon d’Achille,
ce sparadrap qui colle à la peau sans qu’elle sache comment s’en débarrasser.
Pour cette raison, le camp des démocrates doit accentuer la pression, répéter encore et
toujours que la liberté du président n’est pas négociable. Comme jadis Mandela,
Bazoum est une incarnation et un monument. Il est de cette trempe-là. Il ne faut pas
se tromper sur la nature de son combat, pour le Niger bien sûr, pour l’Afrique aussi,
mais au-delà profondément universel.
Geneviève Goëtzinger
Geneviève Goëtzinger est journaliste et dirigeante d’entreprise dans les médias et le conseil en stratégie de communication.
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