Sous le pseudonyme Paul Bourdet, un haut fonctionnaire dresse le constat d’un affaiblissement de la responsabilité publique au sommet de l’État. À travers des affaires récentes, il oppose une gestion par dilution et protection politique des manquements, qui nourrit l’impunité, à une autorité assumée, fondée sur des sanctions claires. Selon lui, lorsque le pouvoir ne produit plus de conséquences visibles, la confiance démocratique se fragilise et l’autorité se vide de son sens. 

 

Cambriolage au Louvre, évasion lors d’une sortie pénitentiaire à Rennes, ministres battus mais maintenus : à travers des faits récents, c’est une même question qui se pose. Que signifie encore exercer une responsabilité publique au sommet de l’État, lorsque les manquements ne produisent plus toujours de conséquences visibles ? À défaut de sanction, c’est la confiance démocratique qui se fragilise.

 

À quelques semaines d’intervalle, deux décisions publiques ont donné à voir deux manières opposées de prendre au sérieux ce que l’exercice de hautes fonctions publiques implique en termes de responsabilité, d’exemplarité et de conséquences.

 

Dans le cas du musée du Louvre, après le cambriolage survenu en septembre 2025, malgré des manquements établis par l’Inspection générale des affaires culturelles, confirmés par la Cour des comptes et examinés lors de deux auditions parlementaires, la responsabilité n’est ni niée ni réellement assumée au sommet. Elle est diluée, fragmentée et politiquement protégée. Des mesures ont été annoncées, des réorganisations engagées, des responsabilités intermédiaires exposées. Mais l’essentiel demeure inchangé. La directrice de l’établissement, en place depuis 2021, est maintenue, sous protection présidentielle.

 

Cette gestion par dilution n’est pas neutre. Elle installe une forme d’impunité de fait, où la responsabilité existe formellement sans jamais produire de conséquence décisive au niveau du commandement. Or l’impunité est toujours plus corrosive que l’erreur. Elle éloigne le décideur de ses actes, affaiblit la norme commune et nourrit la défiance envers les élites et les institutions. À bas bruit, elle sape la cohésion civique, en donnant le sentiment que l’autorité peut s’exercer sans répondre de rien.

Sans l’auctoritas (l’autorité assumée), le pouvoir se dissout

 

Pourtant, une autre manière d’exercer l’autorité est possible.

La décision prise par Gérald Darmanin à l’égard du directeur de l’établissement pénitentiaire de Rennes en apporte la démonstration. Ici, le risque de récidive était connu et avait conduit le ministre à donner une instruction claire interdisant toute sortie pour ce type de profil. En autorisant malgré tout une sortie, en contradiction avec cette instruction, le directeur a fait preuve de légèreté dans l’appréciation d’un risque pourtant identifié, exposant l’institution à un échec prévisible. Il y a eu faute. Et la responsabilité s’est traduite par un acte d’autorité clair : une sanction. Cette décision n’est pas seulement administrative. Elle est pleinement politique, au sens où elle rétablit le lien entre la fonction exercée, la décision prise et les conséquences qui en découlent.

 

Ce contraste ne relève ni de l’anecdote ni de la polémique. Il met en lumière deux conceptions opposées de l’action publique. L’une tolère que les manquements au sommet soient absorbés par la complexité, la collégialité ou la protection politique. L’autre assume que l’autorité n’existe que si elle est incarnée, lisible et responsable, et qu’elle implique, le cas échéant, des conséquences claires.

 

Il est d’ailleurs révélateur qu’il soit devenu difficile, en France, de citer un exemple récent et incontestable de mise à l’écart d’un responsable public pour une faute politique, indépendamment de toute qualification pénale ou financière. Non parce que les erreurs auraient disparu, mais parce que la sanction politique, comme telle, s’est progressivement effacée. La responsabilité s’est trouvée judiciarisée, différée ou neutralisée, jusqu’à devenir presque abstraite. Ce glissement rompt le lien entre pouvoir et conséquence.

 

Cette évolution se retrouve au sommet même de l’exécutif. Le fait que des ministres puissent être maintenus, voire promus, après avoir été battus aux élections législatives, en est un symptôme éclairant. Non qu’une défaite électorale constitue en soi une faute morale, ni que la valeur des personnes soit en cause, mais parce que le verdict du suffrage universel ne produit plus d’effet politique réel, en contradiction avec les fondements mêmes de la démocratie représentative. Là où le suffrage universel était autrefois un rappel à l’ordre, il devient un simple incident de parcours. Cette indifférence aux signaux démocratiques participe du même mouvement : une autorité de plus en plus déconnectée de l’épreuve.

 

On pourra lire avec intérêt l’essai historique d’Éric Buge, L’Éclipse de la vertu, à paraître aux Éditions du Seuil le 16 janvier 2026, centré sur la probité des gouvernants et sur les mécanismes par lesquels les démocraties ont cherché à la contrôler ou, au contraire, à y soustraire le pouvoir. Il montre que l’exigence d’exemplarité n’est ni nouvelle ni linéaire, mais cyclique, alternant phases de rigueur et périodes d’immunité. Ce que nous observons aujourd’hui n’est donc pas une fatalité, mais un moment politique.

 

L’erreur est humaine. Elle peut être reconnue et corrigée. Le laxisme, lui, est un choix. Et lorsqu’il est protégé au sommet, il se diffuse, affaiblit la norme et délégitime l’autorité. À l’inverse, lorsque l’autorité s’exerce par l’exemple et par des conséquences assumées, elle rapproche les citoyens de ceux qui gouvernent.

 

Une société ne se projette pas dans l’avenir en multipliant les proclamations de confiance. Elle le fait en montrant que le pouvoir prend au sérieux ce qu’il implique. Là où l’impunité éloigne, l’exercice assumé de l’autorité rassemble.

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