« En l’espace de vingt ans, la capitalisation est devenue consensuelle, alors qu’il s’agissait auparavant d’un tabou. Un point de bascule a été atteint ». Ce consensus pour un pilier de capitalisation participant au financement des retraites ouvre, et c’est un bon signe, le dissensus des économistes. Ils pointent la difficulté d’amorcer le dispositif sans ajouter de charge contributive puis l’énormité du capital nécessaire.

Le sujet n’est pas seulement celui du financement d’un système qui associera cotisations sociales et capitalisation, c’est un sujet de société qui a pris le mauvais tour d’un conflit intergénérationnel. Le boomer, aujourd’hui retraité aisé suspecté d’avoir profité d’une période de croissance, est devenu un bouc émissaire. Il serait l’unique bénéficiaire de ce monde facile, celui d’un modèle social généreux et celui d’une société post-soixante-huitarde libérée de bien des entraves. 

Á l’échéance d’une quinzaine d’année, le boomer va léguer un formidable héritage de 9000 Millards. Et si, avec cet leg, le boomer n’avait pas fini de contribuer à construire le monde de demain. Ce formidable pactole, trois fois le PIB, trois fois la dette, ne pourrait-il pas contribuer à amorcer un dispositif de capitalisation ? Le débat, déjà brouillé sur les retraites, deviendrait-il épidermique si on y joint celui de l’héritage ? Cette tribune pose ce débat pour contribuer à « ne pas enflammer inutilement des conflits sociaux et générationnels ».

Joindre la question du financement des retraites et celle de la fiscalité de l’héritage, c’est le grand défi économique et social !

Le rendement de la fiscalité sur l’héritage a plus que doublé sur les 10/15 dernières années. Il est aujourd’hui de l’ordre de 18-20Mds par an. Le vieillissement est un atout : il agrandit l’assiette fiscale sans autre action de l’État que de ne pas réviser les seuils de taxation ! Ce doublement, ce sont des « dividendes du vieillissement » que les 9000 Mds à venir vont faire prospérer.

Le « gain fiscal » sur les héritages et donations se perd, aujourd’hui, dans la dépense publique. Les politiques publiques, arc boutées sur le court terme, s’épuisent à des réformes paramétriques sans vision systémique. Peut-on ne pas réfléchir à « flécher » tout ou partie de cette recette fiscale, actuelle et future, vers un fonds d’alimentation d’un pilier capitalisation (l’évaporation des « dividendes de la paix » doit servir de leçon pour ne pas dilapider ces « dividendes du vieillissement ») ?

Dans son rapport, la Commission Blanchard-Tirole faisait des réformes des retraites et de la fiscalité des successions, deux des « Grands défis économiques ». Le défi qu’il faut relever c’est celui de joindre l’une à l’autre. C’est un grand défi parce que la réforme des retraites est dans l’impasse et la question de l’héritage fait s’opposer des « conservateurs » (pour lesquels la fiscalité des succession c’est « l’impôt sur la mort ») et des progressistes, socialistes et libéraux (qui s’accordent pour combattre la rente, avec des objectifs différents).

Capitalisation et fiscalité de l’héritage : réécrire le contrat social

Le modèle social, épuisé par son universalisme, n’est plus finançable par les seules cotisations sociales. Le travail ne suffit plus pour répondre à la demande d’assurance et d’assistance sociale dont la charge entière ne peut peser sur les actifs, trop peu nombreux.

La fiscalité sur l’héritage peut aujourd’hui participer à amorcer le financement d’un pilier de capitalisation. Ce serait là bien plus qu’une des solutions budgétaires : ce serait commencer à réécrire le contrat social en apaisant le conflit intergénérationnel porté jusqu’à l’outrance. Le débat sur l’accumulation des patrimoines n’est pas un faux débat, il doit inviter à entrer dans le détail pour voir que, l’immobilier compte pour 60% dans les patrimoines des plus aisés. Ce patrimoine n’est pas que l’investissement « des économies de toute une vie », c’est aussi de la rente offerte par l’inflation des coûts du foncier et de l’immobilier. La transmission des « économies de toute une vie » est légitime, celle de la rente écorne le contrat social hérité de 1945. S’il faut réécrire un contrat social, il faut d’abord réécrire un contrat fiscal.

Quand s’annoncent les 9000 Mds d’héritage, qui sont le résultat « d’une vie d’économies » mais aussi d’un contexte économique, nous sommes au point de bascule qui doit faire repenser la fiscalité de l’héritage. Les « dividendes du vieillissement » doivent contribuer à restaurer la confiance dans un système de retraite que des nécessaires ajustements paramétriques ne suffisent pas à sauver. Parce qu’un pilier de capitalisation pour financer les retraites fait consensus, parce que les boomers ont l’obligation morale de contribuer encore aux financements communs, parce que le modèle de production subsidiarise le travail, un nouveau contrat social s’impose et impose de réécrire le contrat « fiscalo-social ».

Ce défi pose, pour reprendre les mots du rapport Blanchard-Tirole, « des problèmes techniques et économiques complexes. Il est difficile de percevoir l’acceptabilité sociale ».

Prendre acte de délitement du lien social, se donner un horizon

Depuis 2021, les conditions de l’acceptabilité sociale ont évolué : l’épargne des Français, celle des retraités particulièrement, est venue au débat et le ras le bol fiscal des « Nicolas » s’est exprimé, la réforme « Borne », puis son retrait, a fait bouger le lignes et la capitalisation fait aujourd’hui consensus.

Un pilier de capitalisation ne suffit pas à rénover et sauver le régime des retraites. Amorcer son financement par la fiscalité de l’héritage est une voie technique qui n’impose pas de « solidarité intergénérationnelle excessive » ni aux actifs ni aux retraités. Elle n’élude pas la question d’une réforme des conditions de constitution des droits à retraite, ni celle d’une politique pour l’emploi, de l’accès au premier emploi jusqu’aux fins de carrière, ni celle de la qualité des emplois et de leur capacité de contribution au financement du Social.

Joindre la réforme des retraites au financement d’un pilier de capitalisation, sur les 9000 Mds des successions à venir, c’est abandonner l’inefficace réformisme par « silos » pour se donner une trajectoire, sortir du courtermisme pour traiter la question de façon systémique. Si cette option prospérait dans le débat public, elle comporte le risque de voir l’Etat agir, inspiré, si besoin, par les dernières recommandations du Conseil des prélèvements obligatoires.

 

Michel Monier, membre du Cercle de Recherche et d’Analyse sur la Protection Sociale –
Think tank CRAPS, est ancien DGA de l’Unedic. Contributeur à diverses revues et Think
tank, il est l’auteur d’essais sur les politiques publiques, le paritarisme, la protection sociale,
l’histoire de la pensée économique.

 

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