A 100 ans et des poussières, l’Académie des Sciences d’Outremer est plus que jamais
un espace de réflexion. Durant plusieurs mois, une vingtaine de personnalités ont
réfléchi à l’avenir de la relation entre l’Afrique et la France. Résultat : un rapport à
maints égards décapant.
Pour évoquer une relation, il faut d’abord poser le bon diagnostic sur l’état de son partenaire.
Pas question ici d’éluder les questions qui fâchent ou de faire preuve d’un afro-optimisme
exagéré. Le constat est rigoureux. Il dresse le tableau d’un continent en proie à une série de
crises brutales, dans un contexte plus général d’affaiblissement de l’influence occidentale.
Parmi les difficultés mises en exergue : les questions économiques et de sécurité.
Le rapport décrit ainsi une conjoncture macroéconomique nettement dégradée, avec une
croissance moyenne en régression et deux États phares – Afrique du Sud et Nigéria -, dans
l’incapacité de jouer leur rôle traditionnel de locomotives. Pretoria comme Lagos attirent
désormais moins les investissements. L’endettement public est redevenu partout un enjeu
majeur. Contractée notamment en eurobonds et massivement auprès de la Chine, la dette
publique représente en moyenne 65% du PIB des pays du continent. Cette situation place 21
pays africains en situation de risque alors que l’investissement est déjà pénalisé par des taux
d’intérêt souvent supérieurs aux taux de croissance.
Sur le plan sécuritaire, le constat est également inquiétant avec une instabilité qui devrait se
poursuivre. L’Afrique détient un record historique de coups d’état et de nouvelles tentatives
ne peuvent être écartées. Rédigé avant le vrai-faux putsch de Guinée Bissau, et la tentative
avortée du Bénin, le rapport s’avère à cet égard prophétique. Les zones de conflits non
résolus sont nombreuses, au Sahel ou sévit le terrorisme djihadiste, à l’est avec la flambée
de violences au Cabo Delgado, au centre en passant par la crise récurrente des Grands
Lacs. L’influence géopolitique de la Russie à travers Wagner, et l’interventionnisme de la
nouvelle administration de Trump motivée par la quête des ressources minérales critiques,
complexifient la problématique sécuritaire. Les instances multilatérales peinent à jouer un
rôle déterminant. Le Conseil de sécurité des Nations Unies est marginalisé et l'Union
africaine n’est pas en mesure d’agir efficacement.
Le rapport insiste sur un facteur aggravant : la baisse générale de la quasi-totalité des
concours publics extérieurs, notamment de l’aide publique au développement. Le
mouvement de réduction a été lancé par les États-Unis au début de l’année 2025 avec le
démantèlement de l’USAID et l’annulation de 83% de ses financements. L'Afrique
subsaharienne a ainsi perdu plus de 15 milliards de dollars. La France s’inscrit dans ce
mouvement, malgré l’engagement inscrit dans la loi Berville de 2021 d’atteindre 0 7% du PIB
en 2030. Entre 2024 et 2025, une baisse historique de 39% a été opérée dans les crédits,
soit près de 2,3 milliards d’euros. Le projet de finances 2026 amplifiera cette trajectoire, avec
700.000 euros de réduction supplémentaire. La même tendance s’observe au niveau
européen.
En dépit de ce bilan morose, le rapport identifie des facteurs d’évolution favorables sur le
long terme, notamment en matière de culture et d’éducation. La croissance démographique
est ainsi évoquée avec nuances. L’ambassadeur Jean-Marc de la Sablière qui a piloté le
groupe de travail et largement rédigé ses conclusions aime à rappeler l’adage : « il n’est de
richesse que d’hommes ». Souvent perçue comme un défi en termes migratoire et d’emploi,
la démographie pourrait offrir au continent une main-d’œuvre instruite et être un facteur
d’expansion, à la condition que tous les enfants africains parviennent à maîtriser les
compétences fondamentales de base.
Afrique – France : une relation dégradée
« L’Afrique n’est pas un partenaire parmi d’autres mais un partenaire privilégié. C’est un
choix ». Dans un contexte général maussade, le rapport décrit cette relation toujours
particulière. Les défaillances de la politique française sont longuement évoquées. L’échec de
l’opération barkhane est considérée comme structurante, avec une erreur initiale
d’appréciation : « la coopération militaire opérationnelle a été trop mise en avant, alors que
l’issue ne pouvait être que négociée ». L’image de la France était déjà ébréchée par le retrait
de l’opération Sangaris en République centrafricaine, départ rapidement suivi de l’arrivée des
forces Wagner. D’Afrique centrale au Sahel, l’histoire bégaie !
Les défaillances françaises dépassent la simple question militaire. L’Académie déplore le
déficit d’incarnation de la politique africaine de la France, avec la suppression entre 2017 et
2022 du poste de ministre chargé du développement. Elle cite aussi la baisse du nombre de
coopérants et encore la politique des visas, « un poison avec des procédures trop longues et
des comportements parfois inacceptables », une politique qui « oublie les effets bénéfiques
de la circulation des personnes ». Elle dénonce le double standard dans les appréciations
concernant la gouvernance des différents pays, la coupe budgétaire drastique des crédits
aux ONG, qui constituent pourtant un lien charnel de peuple à peuple ; et bien sûr la difficulté
de trouver la bonne réponse à la désinformation galopante, dans un contexte où « la pensée
néo panafricaniste n’est plus imprégnée de références universalistes mais au contraires
communautaristes ». Cette guerre asymétrique dont la France a tardé à mesurer le risque,
désormais consciente qu’il lui appartient de s’attaquer à la question du narratif.
Les pistes de refondation
Sévère, le rapport nuance pourtant le tableau. Derrière l’effet de loupe du Sahel, la France
conserve des atouts. En Afrique non francophone comme au Kenya au Ghana ou en Afrique
du Sud, l’ASOM décèle une envie de France. En zone francophone, la culture, la langue
partagée, les valeurs de droits de l’homme et des références juridiques communes créent ce
que les auteurs appellent « un lien un peu mystérieux » mais réel et bien palpable.
L’Académie préconise de s’appuyer davantage sur la francophonie et rappelle que la France
demeure perçue comme un acteur sensible aux préoccupations africaines dans le monde
multilatéral. L’influence d’autres puissances est bien sûr ascendante, qu’il s’agisse de la
Turquie, de l’Inde ou des états du Golfe par exemple mais concernant la Chine ou la Russie
par exemple, les succès sont moins définitifs qu’il ne parait. Une prise de conscience
commence notamment à émerger de la prédation et du poids de la dette chinoise.
Les pistes de renouveau existent, à la condition de s’attaquer enfin à ce qu’il est convenu
d’appeler les irritants : « le poison des visas », la question symbolique du franc CFA dont
l’ancrage sur un panier de monnaies est proposé en lieu et place de l’euro, ainsi qu’une
garantie de convertibilité assurée non plus par la France mais par les pays membres. Les
auteurs insistent sur la coopération décentralisée, un mécanisme particulièrement adapté
pour renforcer la relation entre société française et africaine, à travers des projets de
partenariat adaptés au terrain et en mesure de créer des liens durables. L’idée se heurte aux
écueils déjà déplorés : réduction des moyens et difficulté de circulation des partenaires, en
raison de procédures de visa décourageantes.
Alors que veut la France ? Cette interrogation se trouve au cœur du rapport de l’ASOM.
Jean-Marc de la Sablière pose sans ambages la question : « Où est la stratégie à l’égard de
l’Afrique ? Quelle est la finalité politique recherchée ? Comment accroitre nos influences
respectives ? » A travers les lignes, c’est bien cette vision stratégique globale que l’on sent
faire défaut. Sans stratégie et sans moyens réaffirmés, la France risque de laisser s’éteindre
des liens qui constituent ses derniers leviers d’influence en Afrique. Il ne sera pas dit que
l’Académie des Sciences d’Outremer n’aura pas tiré le signal d’alarme à travers cet
important travail de réflexion. L’action appartient désormais aux politiques.
Geneviève Goëtzinger
Geneviève Goëtzinger est journaliste et dirigeante d’entreprise dans les médias et le conseil en stratégie de communication.
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