En Indonésie, l’élan économique ne vient pas seulement des grandes métropoles ou des conglomérats. Il s’enracine désormais dans les villages. C’est le pari de l’APUDSI (Asosiasi Pelaku Usaha Desa Seluruh Indonesia), une association créée en février 2025 pour transformer des dizaines de milliers de producteurs ruraux en exportateurs capables d’atteindre les marchés internationaux.

L’organisation voit large : en anticipant la conclusion du partenariat économique global UE–Indonésie (CEPA), finalisé en septembre 2025, elle veut profiter de la baisse annoncée des barrières douanières pour positionner les villages de l’archipel au cœur des échanges avec l’Europe.

Des villages encore sous-exploités

Sur les quelque 75 000 villages indonésiens, plus de 23 000 produisent déjà du café de spécialité, des épices rares ou un artisanat de qualité. Pourtant, seuls 2 400 accèdent véritablement à l’export. Pour l’APUDSI, ce déficit de structuration représente un manque à gagner considérable.

« Les villages ne sont pas le passé de notre économie, mais son avenir », affirme Maulidan Isbar, jeune entrepreneur élu président de l’association pour 2025-2030. Son credo : faire du village non plus un territoire dépendant, mais le moteur d’un nouveau modèle de croissance.

L’APUDSI articule son action autour de trois axes : formation des entrepreneurs ruraux, légalisation des milliers de micro-entreprises encore informelles, et accès au financement via un partenariat avec la banque publique BRI. Une stratégie autant économique que politique : donner aux villages les moyens d’entrer pleinement dans la mondialisation.

Une organisation nationale tournée vers l’international

En moins d’un an, l’association a déployé une structure couvrant l’ensemble de l’archipel, allant d’un conseil national aux coordinateurs provinciaux chargés d’identifier les produits exportables.

À l’automne 2025, l’APUDSI franchit une nouvelle étape en se tournant vers l’Europe. Aux Pays-Bas, elle participe au DMI Expo 2025 à Utrecht et signe un accord de coopération avec ASPINA, l’association des entrepreneurs indonésiens du pays, dans l’idée de faire des Pays-Bas un hub logistique vers l’UE.

En Suisse, un protocole est conclu avec l’ambassade indonésienne à Berne pour faciliter l’entrée de produits villageois sur le marché helvétique. En impliquant les chancelleries, l’APUDSI inscrit son action dans la diplomatie économique indonésienne.

En France, la carte de la diaspora

En France, l’association mise sur la force du réseau diasporique. Les 4 et 5 novembre 2025, l’ambassade d’Indonésie à Paris accueille l’installation du Conseil du bien-être international APUDSI France (MKLN). À sa tête, Ida Digon, figure familière des amateurs de gastronomie indonésienne : animatrice d’ateliers culinaires, spécialiste du jamu, des épices et du café, elle fait depuis des années la promotion d’une Indonésie gourmande et patrimoniale.

Sa mission est désormais économique : convaincre distributeurs, torréfacteurs, restaurateurs et épiceries fines que les villages indonésiens peuvent fournir des produits fiables, traçables et premium. Elle doit également tisser des liens avec les institutions françaises – chambres de commerce, réseaux d’investisseurs, collectivités – pour accélérer l’entrée des producteurs ruraux dans les circuits européens.

Pour l’APUDSI, la diaspora devient une « ambassade économique », capable d’ouvrir des portes, de décoder les usages et de réduire la distance entre les villages indonésiens et les acheteurs européens.

Des opportunités considérables, des obstacles tout aussi réels

La conclusion attendue du CEPA crée des conditions tarifaires inédites. Mais pour transformer l’essai, il faudra relever des défis majeurs : standardisation de la qualité dans des milliers de villages, conformité aux normes sanitaires européennes, logistique d’un archipel immense vers des marchés continentaux, recherche d’un positionnement premium face à la concurrence mondiale.

L’APUDSI travaille déjà à la création de hubs logistiques, à l’élaboration de labels de qualité reconnus et à des programmes de montée en gamme pour les producteurs.

« Notre objectif n’est pas seulement de produire, mais de connecter », résume Maulidan Isbar. Relier les lieux de culture, de transformation ou de tissage aux cafés de quartier européens, aux épiceries spécialisées et aux plateformes de commerce en ligne.

Si elle réussit, l’Indonésie pourrait faire entrer dans le commerce mondial non plus seulement ses grandes entreprises, mais des milliers de villages. Et offrir à la France l’occasion de bâtir une relation économique plus horizontale avec un partenaire stratégique en pleine affirmation.

 

Deve Maboungou est expert en intelligence économique et en protection des entreprises, président du cabinet de conseil stratégique Noen Cie et enseignant-chercheur à l’Institut Thales Afrique de Dakar au sein du département de science politique et de relations internationales. Il a précédemment été directeur de cabinet de la Maison de l’Afrique, plateforme dédiée aux relations économiques intercontinentales, et il est engagé au sein de plusieurs réseaux de réflexion et d’influence sur l’Afrique et la France-Afrique. Lauréat de nombreuses distinctions pour son engagement associatif, humanitaire et citoyen, il s’impose aujourd’hui comme l’une des voix afro-européennes montantes sur les questions de souveraineté, de diplomatie, de diplomatie économique et de recomposition des relations entre l’Afrique et l’Europe.

 

Voir aussi

En Côte d’Ivoire, les moutons et les chiens

Stabilité : Alassane Ouattara a abusé de cette promesse pour justifier un quatrième mandat auprès de partenaires internationaux réticents. Sur le papier, le président sortant a réussi son « coup KO ». Mais braver l’aspiration d’un peuple au changement comporte aussi des risques.


0 Commentaire10 minutes de lecture

Législative partielle aux États-Unis : le sentiment anti-Trump gagne même les terres les plus conservatrices

Ce mardi 2 décembre, une élection « spéciale » au Tennessee, État le plus évangélique d’Amérique, a permis de combler un siège vacant à la Chambre des représentants. Bien que gagné par les Républicains, le scrutin témoigne de l’érosion de la base trumpiste.


0 Commentaire7 minutes de lecture

Hezbollah-Israël : une nouvelle guerre aux portes du Liban ?

Un an après l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban, le gouvernement libanais a pris des décisions presque révolutionnaires pour désarmer le Hezbollah.


0 Commentaire5 minutes de lecture

Privacy Preference Center