Fin de partie pour la junte malienne ? Sous la pression du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, coalition affiliée à al-Qaïda qui sème la terreur au Sahel, le régime semble en passe de s’effondrer. S’il est probable que la transition militaire vive ses derniers moments, la question de l’après-Goïta demeure en revanche entière.
« Urgence absolue » : l’expression émane du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres. Le 18 novembre, la situation au Sahel s’est brusquement invitée au Conseil de sécurité. Lors d’une réunion d’information, les puissances présentes ont partagé un constat : le Mali est au bord du précipice.
Un visage incarne désormais aux yeux du monde cette impuissance de l’État malien : celui de Mariam Cissé. Avec près de 100 000 abonnés sur son compte TikTok, elle était une vedette des réseaux sociaux. Elle y faisait la promotion de sa ville, Tonka, une localité de la région de Tombouctou. Elle y défendait aussi l’armée, se mettant parfois en scène en tenue militaire. Enlevée par des djihadistes, elle était 24 heures plus tard froidement assassinée par ses ravisseurs. C’était en plein marché, sous les yeux d’une foule impuissante. Le Mali pleure la jeune femme, dont la froide exécution symbolise la descente aux enfers de tout un pays.
Cette fois, plus de Serval, Barkane, Takuba, de MINUSMA ou encore de force conjointe du G5 Sahel pour apporter aux populations un appui indispensable. Cette fois les Maliens apparaissent tristement seuls face au chaos, tragique épilogue d’une pseudo-épopée souverainiste qui pourrait voir cet État sahélien basculer entre les mains de groupes armés terroristes. Les Maliens sont seuls, prisonniers d’une junte militaire qui, de relents identitaires en régression dictatoriale et repli suicidaire, a plongé le pays dans un cauchemar. Les analyses extérieures sur le sort du pays manquent même le plus souvent de la plus élémentaire empathie.
Dans un communiqué récent, l’Union africaine a certes appelé à « une action internationale urgente », mais celle-ci semble peu probable. Les Nations Unies s’inquiètent mais se heurtent aux profondes fractures politiques entre les États de la CEDEAO et ceux de l’AES. La CEDEAO tend la main, consciente que les États côtiers pourraient à leur tour être menacés. Issa Konfourou, le représentant permanent du Mali à New York, ne ferme pas la porte mais ne renonce pas pour autant à sa rhétorique inamicale envers ses voisins, accusés « d’ingérences hostiles ».
Côté occidental, l’heure est plutôt au rapatriement des ressortissants étrangers. Qu’ils soient Australiens, Canadiens, Américains, Britanniques puis Français, tous ont été appelés à quitter le pays avant son effondrement présumé. Les alliés russes de la junte, totalement dépassés, participent de facto à ce désengagement général. Un abandon en rase campagne.
Un état des lieux objectif n’incite guère à l’optimisme
Le GSIM – ou JNIM en arabe – se rapproche inexorablement de la capitale. Durant plus de trois mois, Bamako a été assiégée, soumise à un blocus total du mouvement djihadiste qui étend également son emprise sur les zones rurales. Tous les indicateurs sont désormais au rouge. Le GSIM a privé de longues semaines le pays de carburant, provoquant une paralysie de son économie. Les images étaient édifiantes, de longues files de véhicules dans l’attente d’un hypothétique ravitaillement de stations-service vides.
L’étau semble s’être un peu desserré mais la stratégie d’étranglement a produit des conséquences en cascade. Les prix flambent. Les agriculteurs ne peuvent plus écouler leurs récoltes, plongeant les villes dans l’insécurité alimentaire. Les écoles du pays ont été fermées pendant deux semaines. Les coupures d’électricité sont quasi permanentes une large partie de la journée. La ville de Mopti est même totalement privée d’électricité depuis près de deux mois. Les populations subissent en silence, à la recherche de solutions de contournement. De rares personnalités appellent la société civile au sursaut. C’est le cas de l’avocat et ancien garde des Sceaux Me Mamadou Ismaïla Konaté.
Le pays est à l’arrêt. À l’intérieur, des zones entières échappent totalement au contrôle de l’État. Les tribunaux ne fonctionnent plus. Le GSIM impose tranquillement sa loi, obligeant par exemple les femmes à couvrir totalement leur visage dans les rares transports collectifs encore en circulation, imposant le versement de taxes, la zakat, en échange de sa protection. Il se finance également grâce à la collecte de rançons. Pour la seule libération de deux otages émiratis, le groupe djihadiste aurait obtenu 50 millions de dollars. Pratiques mafieuses sous couvert de prétextes religieux.
Une tragique obsession de la mise en scène
Face à ce délitement accéléré, le régime semble désormais la proie d’une unique obsession : celle de la mise en scène sécuritaire. Il est lancé à vitesse accélérée dans une propagande effrénée contre « ses ennemis de l’extérieur », la France, la CEDEAO, l’Algérie. La diffusion de fake news prend au Mali une dimension industrielle. Au paroxysme du blocus, les vidéos circulaient de prétendues livraisons de citernes d’essence, de victoires imaginaires sur les groupes armés.
Journalistes, activistes hostiles au régime sont tous emprisonnés. Des opposants sont en exil, à l’image de Tieman Coulibaly ou d’Oumar Mariko. Les rares personnalités politiques qui se battaient de l’intérieur pour un retour à l’ordre constitutionnel sont sous les verrous. L’ancien Premier ministre Moussa Mara vient d’être condamné à deux ans de prison, dont un ferme pour ces quelques mots extraits d’un post sur les réseaux sociaux : « Aussi longtemps que dure la nuit, le soleil finira par apparaitre et nous nous battrons par tous les moyens pour que cela arrive, et le plus tôt possible. »
Propagande et répression n’y peuvent rien changer, la question de la pérennité du régime est désormais posée. Depuis quelques semaines, le Burkina Faso et le Niger voisins connaissent un relatif répit sécuritaire, confirmant que les groupes terroristes présents dans les trois États ont choisi de concentrer temporairement leurs forces sur le Mali.
Les scenarii du GSIM
Les experts restent cependant dubitatifs sur la capacité et la volonté du GSIM de prendre le contrôle effectif de la capitale. Ils s’accordent en revanche pour estimer que le groupe djihadiste fait de la chute du putschiste Assimi Goïta son objectif immédiat. Davantage que de lancer un assaut sur la capitale, le pari est une accentuation de la pression qui conduirait le pouvoir central à s’effondrer comme un château de sable, par la révolte de populations exaspérées ou du fait de dissensions internes à l’appareil militaire. Le relatif répit dans la guerre des citernes ne devrait pas modifier cette stratégie.
Resterait alors à propulser un pouvoir plus favorable sur tout ou partie du territoire. Plutôt que de diriger l’appareil d’État, il s’agirait pour le GSIM de le contrôler. Certaines personnalités se préparent à jouer un nouveau rôle, à l’image de l’imam Dicko, avec la bénédiction de l’Algérie voisine. L’Algérie, soucieuse de reprendre pied au Mali, y trouve des intérêts convergents avec la France sur le plan sécuritaire. Il faut aussi replacer la libération de Boualem Sansal dans le contexte sahélien, la nécessité de reprendre l’échange de renseignements entre les deux États. À ses interlocuteurs, l’imam Dicko se présente en cheville ouvrière d’un vrai processus de dialogue et de paix. Un narratif qui se veut rassurant, brutalement télescopé par l’assassinat de Mariam Cissé.
Si la prochaine page de l’histoire du Mali reste très incertaine, il est en revanche probable que ce pays ne l’écrira pas seul. Ces dernières années, on parlait d’effet domino pour évoquer les coups d’État dans les trois pays du Sahel central : Mali, Burkina et Niger. Si la chute du régime militaire se confirmait à Bamako, elle pourrait être le prélude de celle de ses homologues de Ouagadougou et de Niamey. Effet domino : l’expression a de beaux jours devant elle.
Geneviève Goëtzinger
Geneviève Goëtzinger est journaliste et dirigeante d’entreprise dans les médias et le conseil en stratégie de communication.
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