Ce mardi 2 décembre, une élection « spéciale » au Tennessee, État le plus évangélique d’Amérique, a permis de combler un siège vacant à la Chambre des représentants. Bien que gagné par les Républicains, le scrutin témoigne de l’érosion de la base trumpiste.

Élu par 53,91 % des suffrages, le républicain Matt Van Epps s’apprête à représenter le 7ᵉ district congressionnel du Tennessee à la suite d’une élection spéciale provoquée par la démission du député Mark Green, parti travailler pour le secteur privé. S’il était peu probable que ce district, bastion républicain depuis 1983, bascule à gauche, c’est la marge avec laquelle le prétendant conservateur l’emporterait sur les démocrates qui a alimenté les débats politiques ces derniers jours outre-Atlantique.

De prime abord, la configuration du scrutin semblait particulièrement favorable aux Républicains, qui ont totalement redessiné les frontières des circonscriptions électorales du Tennessee en 2022. Si Nashville, péninsule démocrate au cœur de cet État conservateur, disposait de son propre district électoral jusqu’alors, elle a été divisée en trois zones, toutes rattachées à des localités rurales et surabondamment conservatrices aux alentours. Cette opération de « gerrymandering » avait porté ses fruits : des 14 comtés qui composent le district, seul 1 a préféré Kamala Harris à Donald Trump lors de la présidentielle de 2024. En définitive, l’actuel chef d’État avait battu sa rivale avec une marge de près de 25 points de pourcentage, faisant du territoire l’un des symboles de la surpuissance du président dans l’Amérique rurale.

Une victoire républicaine moins nette que prévu

Ce 2 décembre 2025, néanmoins, la victoire républicaine n’a été obtenue qu’à l’aide d’une avance de 8 points sur la prétendante démocrate, Aftyn Behn. La performance de cette dernière est d’autant plus notoire qu’elle a été touchée par une importante polémique. D’anciens propos ont refait surface dans lesquels on l’entend vertement critiquer la capitale de l’État, Nashville, dont une large partie est pourtant intégrée au district qu’elle comptait représenter : « Je hais la ville (…), je hais la musique country (symbole de la ville, ndlr.), je hais tout ce qui fait apparemment de Nashville une ville tendance aux yeux du reste du pays. » Le caractère maladroit de la déclaration a très vite attiré l’attention des grands médias nationaux, poussant Donald Trump à s’impliquer dans le scrutin deux jours avant sa tenue pour contrer la candidate démocrate : « Elle a dit deux choses qui, plus que tout, m’ont dérangé. Premièrement, elle hait le christianisme. Deuxièmement, elle hait la musique country. Comment diable pourriez-vous élire une personne comme ça ? », a lancé le président américain.

Malgré la controverse et sa radicalité — son progressisme affirmé détonne par rapport au ton très feutré que se donnent habituellement les démocrates dans les États où ils sont minoritaires —, Aftyn Behn a offert à son parti une progression significative de sa part électorale dans chaque comté du district. Une percée qui fait écho aux mauvaises performances de l’administration Trump : le taux d’approbation du président est tombé à 36 %, le score le plus bas depuis son retour au pouvoir en 2024, selon un sondage Gallup publié début décembre. Fin novembre, une enquête d’opinion de Fox News Poll avait déterminé que 63 % des Américains contestaient la politique de Trump sur les droits de douane, dont 27 % d’électeurs ayant voté pour lui en 2024. Sur ce terrain, il fait également face à la pression des entreprises : le jour du scrutin au Tennessee, la chaîne de grande distribution Costco a porté plainte contre l’administration fédérale, exigeant un remboursement des pertes de profit suscitées par l’instauration des « tarifs ».

Dans les urnes, cet affaiblissement du soutien à Trump au sein même de sa base électorale s’est déjà manifesté le mois dernier, à l’occasion notamment de la victoire d’une candidate démocrate à la tête de l’État pivot de Pennsylvanie. Elle se confirme en ce mois de décembre dans cette partielle au Tennessee : en 2024, le républicain sortant, Mark Green, avait été élu avec plus de 21 points d’avance sur son opposante démocrate ; un an plus tard, son successeur, Matt Van Epps, n’a même pas atteint la barre des 10 % sur ce critère. « Au QG des Républicains, les voyants doivent être au rouge », concluait mardi la présentatrice de l’émission de fin de soirée de CNN, Laura Coates. Mais le parti a-t-il seulement pris conscience du désaveu auquel il fait face ? Sur Fox News, la sénatrice républicaine du Tennessee Marsha Blackburn éludait les difficultés rencontrées sur le terrain, affirmant que ses concitoyens avaient simplement été « occupés par le football et Thanksgiving. Ils n’ont pas prêté attention à l’élection avant le week-end dernier, a-t-elle assuré.

La force de Donald Trump, depuis son arrivée en politique, réside en sa capacité à récolter à la fois le soutien des populations de la « Rust Belt », ancien vivier manufacturier du nord-est, frappé par la désindustrialisation, et des populations rurales ultraconservatrices du Sud. Mais le caractère plus populiste et moins messianique de son gouvernement actuel, comparé au cabinet de la première administration Trump, déstabilise ses électeurs évangélistes, tandis que la crise du coût de la vie affecte l’intégralité des sociologies. Or, avec une majorité parlementaire ne tenant qu’à six sièges, les Républicains ne peuvent se payer le luxe de la désunion : s’ils venaient à perdre le même taux d’électeurs que ce mardi au Tennessee dans d’autres districts lors des midterms en novembre prochain, 35 de leurs représentants pourraient être battus par des Démocrates, selon les calculs d’une journaliste de PBS citée par le « Playbook ».

Illustration : Ligne de Presse (Licence : NRP)


Eliott Mamane

Eliott Mamane est journaliste et chroniqueur pour plusieurs médias. Il travaille principalement sur la politique française et sur la politique américaine, en se focalisant sur la vie partisane de ces deux pays ainsi qu’aux configurations des débats intellectuel et médiatique sur place. Il a notamment écrit pour Le Figaro et Marianne. Il intervient régulièrement à la radio sur les ondes d’Europe 1 et à la télévision sur la chaîne d’information France Info.

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