Shein au BHV : ce mariage contre-nature acte un renoncement politique. Entre urbanisme punitif et iniquité fiscale, Bernard Cohen-Hadad dénonce le sabotage de notre industrie textile et exige la fin des privilèges accordés à l’ultra-fast fashion.

Voir l’enseigne Shein s’installer au cœur du Marais, dans les murs du BHV : l’image a quelque chose de surréaliste, une violence symbolique inouïe pour quiconque se bat quotidiennement pour la défense du commerce de proximité et de l’industrie française. Ce mariage contre-nature acte le télescopage brutal de deux mondes irréconciliables. D’un côté, une institution historique, une marque repère qui a traversé les décennies en prônant la qualité. De l’autre, l’emblème absolu de l’ultra-fast fashion, un algorithme commercial qui inonde la planète de 10 000 nouveaux modèles par jour, symbole d’une consommation jetable. Ce choc n’est pas anodin : il est le symptôme d’une maladie qui ronge le commerce local.

L’échec d’un aménagement urbain

Ce partenariat BHV/Shein n’est pas une stratégie audacieuse, c’est l’aveu cruel de la faiblesse du commerce physique dans notre capitale. Le BHV, comme tant d’autres grands magasins, était à bout de souffle. Mais il ne faut pas se tromper sur le diagnostic. Cette situation est la conséquence directe d’une politique d’aménagement punitive. Entre des changements de consommation structurels et une politique anti-voiture dogmatique menée par l’Hôtel de Ville, avec la zone à trafic limité (ZTL) Paris Centre et l’interdiction de la circulation générale rue de Rivoli, les flux de chalandise se sont taris.

Le magasin cherchait de l’air. Il avait un besoin vital de trafic, à n’importe quel prix. Le pragmatisme économique a cédé à la panique : pour faire revenir les clients découragés de venir dans le centre, le tapis rouge est déroulé à ceux qui détruisent la valeur du textile. Ce faisant, le BHV offre au géant chinois une caution de respectabilité qu’il ne mérite pas au regard de son impact environnemental. Le loup est désormais dans la bergerie.

L’État lui aussi complice de la fast fashion

Le message envoyé à nos PME est dévastateur. Nous assistons à une hécatombe du textile français. Camaïeu, Naf Naf, Kookaï… La liste de nos marques disparues ressemble à un champ de ruines. Ces entreprises ne sont pas mortes de vieillesse, elles ont été étouffées par l’institutionnalisation d’une concurrence déloyale.

L’iniquité est flagrante. Nos commerçants indépendants courent un marathon avec un sac à dos rempli de pierres – normes diverses, loyers exorbitants, lourdeurs administratives – pendant que la fast fashion est en situation de courir un sprint sans entrave. Une PME parisienne paie ses loyers, sa fiscalité et respecte des normes sociales drastiques. Shein n’a aucune boutique physique, ne paie pas d’impôts locaux et s’affranchit de nos standards.

Pire encore, elle bénéficie d’une subvention déguisée à l’importation : la franchise des droits de douane pour les colis de moins de 150 euros. C’est par cette brèche béante que des millions de colis entrent en Europe sous les radars, sans payer les droits que nos entreprises acquittent. On ne peut pas demander à nos PME d’être vertueuses, vertes, locales, de fabriquer en France, et laisser simultanément la porte grande ouverte à ceux qui font exactement l’inverse. C’est du sabotage économique !

Le vrai coût d’un t-shirt à 3 euros

Le pouvoir d’achat reste une préoccupation majeure. C’est pourquoi nous sommes aussi face à la schizophrénie du client : citoyen soucieux de l’écologie le lundi mais consommateur cherchant le prix le plus bas le mardi. Autrement dit, il n’est « consom’acteur »… que par intermittence ! Nous, responsables économiques, avons le devoir de dire la vérité sur ces prix.

Quand on achète un vêtement au prix de deux croissants, c’est que quelqu’un, quelque part, paie la différence. Caché, le coût humain et écologique n’en est pas moins lourd. Le coût humain, c’est aussi le salarié français qui le paie. Derrière le t-shirt à 3 euros, il y a la destruction de 4 000 emplois dans l’habillement l’an dernier sur notre sol !

Je refuse cette fatalité. Le pragmatisme du BHV ne doit pas justifier le renoncement à nos valeurs. Il est urgent d’accélérer l’application de la loi sur la fast fashion et son malus écologique. Il est surtout impératif de supprimer cette niche fiscale des 150 euros qui agit comme un aspirateur à importations déloyales. Nous ne demandons ni protectionnisme aveugle, ni faveur. Nous demandons l’équité : mêmes règles, mêmes taxes, mêmes contrôles. Les fins de mois difficiles ne doivent pas justifier la disparition de nos savoir-faire et de notre patrimoine industriel !


Bernard Cohen-Hadad

Bernard Cohen-Hadad est entrepreneur et président du Think Tank Étienne Marcel. Membre de la Société d’économie politique, il est aussi président de la commission du développement économique du Conseil économique, social et environnemental régional en Île-de-France. Il est également membre de la Chambre de commerce et d’industrie de la Région de Paris-Île-de-France. Auteur de L'Avenir appartient aux PME paru chez Dunod, Bernard Cohen-Hadad est l’auteur de nombreuses tribunes publiées dans les médias. Il a été membre de l’Observatoire de l’épargne réglementée, de l’Observatoire du financement des entreprises, de l’Observatoire des PME et ETI par le marché et du Comité consultatif du secteur financier (CCSF). Il participe actuellement à l’Euro Retail Payment Board (ERPB) auprès de la Banque centrale européenne, au Comité national des moyens de paiements (CNMP) et au Comité pour l’éducation financière (EDUCFI). Il est membre du Conseil scientifique de l’École supérieure des métiers du droit.

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