Un an après l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban, le gouvernement libanais a pris des décisions presque révolutionnaires pour désarmer le Hezbollah. Dans un pays où la milice pro-iranienne aussi bien que les factions palestiniennes ont gardé les armes après la fin de la guerre, l’effet d’annonce du plan du désarmement soumis par l’armée libanaise au Président de la République et au Premier ministre était énorme. Cependant, les mesures concrètes n’ont pas suivi et le délai de désarmement fixé à fin décembre 2025 risque de ne pas être respecté.

Tergiversations, opacité dans les communications et discours conciliants ; ainsi s’est révélée la communication politique au Liban ces dernières semaines. Bien que l’armée libanaise ait pris le contrôle de plusieurs dépôts d’armes dans le sud, plusieurs autres sites n’ont pas encore été démantelés. L’arsenal du Hezbollah, certes réduit comme peau de chagrin, compte encore quelques centaines de missiles à courte et moyenne portée ainsi que quelques missiles balistiques. Les dernières révélations israéliennes montrent que la milice serait même en train de se réapprovisionner en armes et roquettes à travers la frontière poreuse entre le Liban et la Syrie. Et à Washington, le Trésor américain épingle la milice pro-iranienne sur son financement. Le sous-secrétaire au Trésor américain chargé du terrorisme et du renseignement financier, John Hurley, de visite au Liban début novembre, a estimé à un milliard de dollars les sommes envoyées au Hezbollah par la République islamique d’Iran, par le biais de valises de cash, de bureaux de change et de fonds venant de Syrie. En liquide, en or ou en cryptomonnaies, le Hezbollah essaie de renflouer ses caisses par tous les moyens, au grand dam de l’État libanais et de sa souveraineté. Pire, la formation milicienne ne semble pas atterrée par le bilan de la dernière guerre qui l’a confrontée à Israël. Malgré les milliers de morts et les destructions massives dans le sud, le secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem, n’exprime pas l’ombre d’un remords.

L’autocritique ne semble pas faire partie du référentiel éthique du Hezbollah. Refus du désarmement, accusation ad sionistum contre tout bord politique ou contre la société civile qui appellent à la restitution du monopole des armes à l’État libanais. Kassem ressuscite aussi la manœuvre éculée des atteintes au vivre-ensemble en cas d’affrontement entre l’armée libanaise et le Hezb. Les communautés au Liban ne vivent plus ensemble depuis longtemps mais côte à côte dans un pays où l’appartenance citoyenne est marginalisée au profit de l’appartenance communautaire. Le biais cognitif introduit par le Hezbollah dans sa propagande est de crier haro à la guerre civile en cas de désarmement en pratiquant l’inversion accusatoire contre d’autres composantes de l’échiquier politique libanais, suivant la logique : « Celui qui cherche à nous désarmer cherche la guerre aussi ». Or, cette guerre improbable est davantage psychologique que factuellement possible. Le peuple libanais est un peuple las de se battre, sortant d’une guerre dévastatrice et survivant à une explosion considérée comme la plus puissante des explosions non nucléaires dans l’histoire. Ses aspirations sont basiques : sécurité sociale, stabilité, essor économique, institutions fonctionnelles, égalité des droits entre hommes et femmes, fin de la précarité et souveraineté économique et politique, loin de l’axe de la résistance et du conflit israélo-palestinien. Le Hezbollah considère ces aspirations comme de la trahison. Et le jeu de dupes se perpétue entre un gouvernement de plus en plus en mal de s’imposer sur la scène internationale et devancé par le président syrien Ahmad el-Charaa, reçu à l’Élysée et à la Maison-Blanche.

Le Hezbollah a donc donné son dernier mot : pas de désarmement, face à une perpétuation de la guerre à basse intensité menée par Israël contre les commandants du Hezbollah avec des ciblages réguliers de convois de transports d’armes. Face à cette réalité et à la fin de l’ultimatum donné par le gouvernement pour le désarmement de la milice, la guerre risque de reprendre en 2026, à la veille des élections législatives qui risquent de mettre à mal la milice pro-iranienne. Un compromis semblable à celui conclu en 2006 est-il encore possible ? Ça aurait pu être le cas, si un funeste 7 octobre n’avait pas eu lieu il y a deux ans.

Illustration : Ligne de Presse (Licence : NRP)


Maya Khadra

Maya Khadra est enseignante et journaliste franco-libanaise spécialiste du Moyen-Orient. Lauréate du Prix du journalisme francophone illustré en zones de conflits en 2013, elle a commencé sa carrière journalistique à L'Orient-Le Jour et a enseigné dans plusieurs établissements scolaires et universitaires à Beyrouth avant de s'installer à Paris. Elle est professeur de communication et de culture générale à l'IPAG Business School. Régulièrement invitée sur les chaînes télévisées françaises et arabes pour commenter l'actualité au Moyen-Orient : LCI, BFM, Franceinfo, Arte, Al Arabiyya, Skynews.

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