Depuis plusieurs années, la place occupée par le CIIB (Le Collectif pour l’Inclusion et contre l’Islamophobie en Belgique) dans le champ associatif et politique belge suscite un questionnement profond. Il ne s’agit pas simplement d’examiner un acteur militant de plus : il s’agit de comprendre les dynamiques d’implantation, de légitimation et d’influence d’organisations dont les objectifs officiels — lutte contre l’islamophobie, défense des droits — peuvent dissimuler des ramifications plus larges, en lien avec la mouvance frériste en Europe. La publication, en juillet 2025, d’extraits d’un rapport de la Sûreté de l’État belge (SGRS/VSSE) a relancé le débat, en rendant publiques des conclusions particulièrement préoccupantes. [1]

Constat des renseignements : un lien supposé avec la mouvance frériste

Le rapport confidentiel rendu public fin avril par la PFCECT — la « capacité intégrée de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme » de la Sûreté de l’État — décrit le CIIB comme un « groupe de pression de tendance Frères musulmans », évoquant des risques de « subversion des valeurs », d’« ingérence » dans les institutions publiques, et d’« influence » sur le processus démocratique.[2] Selon le document, sur les sept personnes fondatrices du CIIB, figure « un membre des Frères musulmans ainsi qu’un activiste de l’idéologie des Frères musulmans ».[3] Le rapport considère donc que les liens du CIIB avec la mouvance ne sont pas circonstanciels, mais structurels et ancrés dès l’origine.[4]

Ces révélations ont été reprises par plusieurs médias belges indépendants — parmi lesquels un quotidien reconnu —, ce qui les rend aujourd’hui de notoriété publique. [5]

Continuité institutionnelle : héritage du CCIF français

Historiquement, le CIIB se revendique comme le pendant belge du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).[6] Le CCIF a été dissous en décembre 2020 par les autorités françaises, en raison de l’implication supposée de certains de ses membres dans des réseaux islamistes.[7] La volonté de ses initiateurs de transposer l’organisation en Belgique sous la forme du CIIB — en modifiant simplement l’acronyme — peut dès lors être lue comme une tentative de reconstitution nominale, tout en préservant une continuité idéologique et organisationnelle.[8]

Ce passage d’un cadre national français à un cadre belge, via le même type de structure, interroge les motifs de légitimité et de transparence du CIIB, d’autant plus que le CCIF était déjà placé sous le feu des critiques pour son ancrage supposé dans la mouvance frériste. [9]

Financements publics et privés : hybridation et manque de transparence

Sur le plan des ressources, le CIIB a perçu des subventions publiques — notamment de la part du SPF Justice — pour un montant que des parlementaires belges évoquent comme « conséquent ». [10] Les députés fédéraux Koen Metsu et Sophie De Wit s’interrogent sur les activités de l’asbl Collectif pour l’Inclusion et contre l’Islamophobie en Belgique (CIIB). Cette organisation francophone, qui se présente comme un « chien de garde contre les discriminations visant les musulmans belges », a reçu l’an dernier près de 96.000 euros de subsides du SPF Justice, censés promouvoir la diversité, l’interculturalité et l’égalité des chances.

Ces aides sont censées soutenir des activités de promotion de la diversité et d’égalité des chances. Mais, en parallèle, le CIIB reçoit également des contributions privées, ce dont la provenance n’est pas toujours documentée publiquement. [11] Le CIIB a bénéficié, ces dernières années, de subsides, d’après un recensement effectué par la « Dernière Heure », de l’ordre de 300.000 euros, notamment de l’État fédéral et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le député Denis Ducarme (MR) a réitéré sa demande d’une commission d’enquête sur le sujet. « On a versé 300.000 euros à une telle organisation alors que l’information sur sa nature était publique » [12]

Ce mélange entre financement public légitime et apports privés à traçabilité limitée correspond, selon plusieurs analystes du phénomène frériste, à un schéma récurrent. L’hybridation permet d’allier l’apparence de respectabilité institutionnelle à l’autonomie stratégique propre aux réseaux transnationaux. [13]

Usage stratégique du concept « islamophobie » : rhétorique et instrument politique

Sur le plan idéologique et discursif, le CIIB fait une large promotion du concept d’« islamophobie », comme cadre central de son action. [14] Si la lutte contre les discriminations faites aux personnes en raison de leur religion constitue une cause légitime et urgente dans les sociétés européennes, l’emploi systématique de cette notion — souvent sans nuance — est devenue un outil politique qui vise moins à protéger les victimes qu’à immuniser certaines idéologies contre toute critique.

Le rapport de la Sûreté de l’État relève justement que le CIIB diffuse un « narratif emprunté aux Frères musulmans », selon lequel l’Europe et les États européens seraient structurellement hostiles à l’islam et aux musulmans. Cette posture rhétorique s’inscrit dans des stratégies documentées par les spécialistes du frérisme : elle consiste à construire un sentiment de persécution collective, à mobiliser la victimisation et à revendiquer une représentation exclusive des « musulmans victimes », conférant au CIIB un rôle de médiateur presque monopolistique.[15]

Tentatives d’implantation institutionnelle et “entrisme” politique

Un autre aspect préoccupant mis en évidence par les rapports récents est celui de l’“entrisme” politique : certaines personnes liées au CIIB auraient été amenées à rejoindre ou influencer des structures partisanes belges, notamment en Wallonie‑Bruxelles.[16] Ce type de stratégie — souvent qualifiée d’ « infiltration douce » — est fréquemment signalée dans les études sur les réseaux fréristes en Europe, où l’objectif est de gagner des positions légitimes afin de peser sur l’élaboration des politiques publiques (intégration, laïcité, immigration, éducation, etc.).[17]

Ce phénomène interroge la matérialité de l’engagement du CIIB : s’agit‑il véritablement d’une association de défense des droits, ou d’un outil d’influence cherchant à remodeler les normes sociétales selon une grille religio-politique ? Pour ma part, la réponse ne fait aucun doute.

Que permet le cas du CIIB ? Une illustration des défis contemporains

L’ensemble de ces données — origine et religion des fondateurs, financements, filiation institutionnelle, discours, tentatives d’implantation politique et influence — offre, à travers le cas du CIIB, un terrain d’observation précieux. Il permet de saisir comment, dans certaines démocraties européennes, des organisations peuvent fonctionner légalement, revendiquer des objectifs de justice et de droits, tout en s’inscrivant potentiellement dans des dynamiques de réseau, d’alliance idéologique et d’influence transnationale.

Le CIIB n’est pas, selon les termes mêmes du rapport, un simple collectif antiraciste : il est décrit comme un acteur d’influence, travaillant à faire porter l’idéologie de la mouvance frériste dans l’espace public et politique belge.

Recommandations pour une recherche et un débat démocratique responsable

En l’état, le statut du CIIB appelle à un examen approfondi. Il convient :

  • de renforcer la transparence financière des associations bénéficiant de subventions publiques ou privées — en exigeant des comptes publics sur l’origine des fonds.
  • de rendre public le rapport de la Sûreté de l’État dans son intégralité, afin qu’il puisse faire l’objet d’un débat contradictoire, universitaire et citoyen.
  • de lancer des études académiques approfondies (sociologiques, historiques, juridiques) sur les trajectoires des militants, les réseaux d’alliance, et les circulations organisationnelles entre associations, partis politiques, groupes de pression et structures religieuses.
  • de maintenir une vigilance démocratique sur les phénomènes d’« entrisme » politique ou d’influence idéologico-religieuse dans les partis, institutions publiques, organismes d’aide ou d’intégration, ainsi que dans la société civile.

 

[1] « Pour la Sûreté de l’État, le Collectif contre l’islamophobie et les Frères musulmans sont liés», Le Vif, 9 juillet 2025.

[2] « Influence des Frères musulmans en Belgique : la Sûreté de l’État place un collectif au même degré de menace», RTL Info, 9 juillet 2025.

[3] Ibid

[4] « La Sûreté de l’État alerte dans un rapport sur les tendances “fréristes” de la rhétorique du Collectif contre l’islamophobie en Belgique», Radio Judaïca, 9 juillet 2025.

[5] « Belgique : le Collectif contre l’islamophobie dans le viseur des renseignements», Yabiladi, 9 juillet 2025.

[6] « Qui est le CIIB ?», page officielle du CIIB.

[7] Dissolution du CCIF en France, décision du 3 décembre 2020 — contexte largement médiatisé et critiqué en Europe. (Voir, par exemple, synthèses européennes sur les conséquences de la dissolution)

[8] Ibid

[9] Ibid

[10] « 96.000 euros de subsides à un collectif musulman controversé suscitent des questions », N‑VA, 20 octobre 2025.

[11] Analyse de l’opacité des contributions privées comme caractéristique des organisations dites fréristes, voir rapports et notes informatives récentes sur le sujet.

[12] « La Sûreté de l’État avait déjà transmis une note à la FWB sur les Frères musulmans en 2020 » Le Vif du 15-07-2025,

[13] « Influence des Frères musulmans en Belgique : la sûreté de l’État place un collectif au même degré de menace » RTL Info 09/07/2025

[14] « Lutter contre l’islamophobie et la discrimination : l’objectif principal du CIIB » Définition et mission du CIIB, selon son propre site web.

[15] Ibid, et rapport de la Sûreté de l’État précité.

[16] Note parlementaire interrogeant le financement public et le rôle sociopolitique du CIIB.

[17] Cf. travaux universitaires et rapports sur les dynamiques d’“entrisme” des mouvements fréristes en Europe, ainsi que le rapport belge de 2025.


Kamel Bencheikh

Kamel Bencheikh est un écrivain et intellectuel franco-algérien dont le parcours mêle engagement, réflexion politique et passion pour la langue française. Après une vingtaine d’années en Algérie, puis un long ancrage en France, il s’est imposé comme une voix universaliste, attachée à la laïcité, à l’émancipation individuelle et à l’exigence républicaine. Auteur entre autres de L’Islamisme ou la crucifixion de l’Occident (éditions Frantz Fanon), chroniqueur dans divers médias et passeur d’idées, il s’intéresse tout particulièrement aux questions d’intégration, de citoyenneté et de liberté de conscience. Son œuvre, comme ses prises de position publiques, reflète une volonté constante : relier plutôt qu’opposer, éclairer plutôt qu’enflammer, et défendre une vision humaniste de la France contemporaine.

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